Ce que parler veut dire… (23/4/2016)

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Quelle réalité produite par les mots ?


A propos de la décennie 1980 qu’ils qualifient de cauchemardesque, plusieurs auteurs ont analysé la progressive dissémination d’un vocabulaire politiquement correct pour désigner des situations socialement problématiques : le « SDF » remplace le clochard, les femmes de ménage se transforment en « techniciennes de surface » et les ouvriers disparaissent du vocabulaire du parti socialiste…
Puis, pendant la décennie 1990, d’autres sociologues ont étudié la propagation du vocabulaire du management dans les modes de pensée de l’urbanisme, de la culture (« la cité par projet ») et plus largement dans les manières de parler de nos intimités.
D’autres auteurs situent dans la crise du langage l’une des sources de la crise de civilisation contemporaine. Plus récemment, après les attentats de janvier 2015, la perte de sens du vocabulaire politique utilisé par les acteurs du monde politique est pointée comme l’un des signes du malaise culturel contemporain.

Nous nous sommes arrêtés sur les mots souvent usités par les politiques, les journalistes, les militants et parfois les gens ordinaires, pour parler (comprendre et agir) l’urbain, l’espace public, la structure sociale et spatiale de la ville et surtout les politiques urbaines. A Marseille, que cherchent les personnages politiques quand ils ou elles parlent de « transformer la Canebière en Soho ou Broadway » ou de « Quartier Latin marseillais » ?

Intervenants


Regard sur la rencontre :

Christophe Apprill :

Pour introduire la séance, je vais mettre l’accent sur la manière dont certains mots parlent à travers nous sans que nous en soyons forcément conscients. Je cite comme exemple ce beau panneau de Ben, sur le boulevard de Belleville à Paris : « il faut se méfier des mots ».
Indirectement les thèses subjacentes à ce que je vais dire sont celles de Pierre Bourdieu, Norbert Elias et Sigmund Freud : comment intériorisons-nous une manière de parler ? Comment notre subjectivité utilise automatiquement des mots, de manière inconsciente ? Si c’est de manière inconsciente, ça vient bien de quelque part, et là je reprendrai aussi les thèses de Félix Guattari, à travers un recueil d’articles, intitulé « Les Années d’hiver 1980-1985 », sorte de contre-récit des années 1980. Félix Guattari y développe la notion de capitalisme mondial intégré, ou d’hyper-capitalisme qui, dès les années 1980, s’insinue dans notre subjectivité. Un exemple de mot que chacun utilise couramment, qui ne peut pas ne pas être utilisé dans le quotidien, et qui s’insinue partout et notamment dans les sphères professionnelles et culturelles au sens large, qui vont de la lecture publique au cinéma. Il s’insinue également dans notre subjectivité la plus intime qui soit, dans nos discussions et nos interactions personnelles. Ce mot, c’est le mot « projet ».
Premier postulat : contrairement à ce qui est dit affirmé assez généralement, je pense que notre période est encore dans l’idéologie. Il existe une idéologie hégémonique, dominante, en France, en Europe et dans une grande partie du monde, qui est celle du capitalisme et du libéralisme. C’est une évidence, mais certains et beaucoup de média affirment le contraire. Deuxième postulat : ce mot « projet » va à l’encontre de ce que nous pensons et à l’encontre de nos engagements militants. Sorte de dissonance cognitive, il nous met en face de nos conflits internes, en face d’exigences qui ne sont pas les nôtres.

C’est un mot très pratique, car dans nos sphères intimes, on peut avoir le projet de faire un enfant, le projet de partir en vacances, de monter une création partagée. Que signifie « partir en vacances » ? Dans le dictionnaire, deux acceptions du mot « projet » sont citées, d’une part en termes de planification. On parle alors de planifier ses vacances : je choisis une date de début et de fin, et je planifie ce qui va se passer pendant les vacances. Je planifie que je vais tomber amoureux (c’est une planification bien surréaliste, impossible à planifier) ou bien je planifie que je vais avoir trois coups de soleil, pas quatre ni deux mais trois, et que je n’aurai pas de crème alors pour les calmer. La planification est stricte, dans le calendrier, dans l’organisation des tâches, dans la prévision de ce qui va se dérouler, etc. Projeter de partir en vacances, c’est se mettre face à quelque chose que je vais vivre, qui ne relève pas de l’expérience. Je parle d’une expérience qui n’existe pas, cette expérience n’a pas lieu d’être. Elle n’est pas réalisable, empiriquement, je ne peux pas la vivre. Je ne peux pas projeter de partir en vacances, car les vacances ne sont pas un projet. Ce que je vais vivre pendant mes vacances ne relèvent pas du projet. Même chose si je projette d’avoir un enfant : je sais à peu près quand cela va arriver, mais pas sous quelle forme, même si les échographies existent, je ne peux ni prévoir la forme, ni prévoir l’être. La notion de planification s’effondre. Je renvoie à ce que disait Georgio Agamben sur la notion d’expérience : nous en sommes arrivés à un stade ultime où nous ne pouvons plus réviser l’expérience. Et le mot « projet » nous projette précisément dans un environnement où l’expérience devient impossible. Je crois que je vais la réaliser, mais elle n’est pas possible.

J’utilise ce mot car je ne peux pas faire autrement, aussi parce que je vais l’accoler à quantité d’autres mots. Prenons la sphère professionnelle des milieux culturels : aucun éditorial de centre culturel ou de théâtre n’existe sans le mot « projet », aucun chantier artistique, aucun projet de création sans le mot « projet ». Il y a une injonction très forte, consciente ou inconsciente, à utiliser ce terme dès lors qu’on parle de création, de créativité, d’arts partagés. Ce mot aussi est interchangeable, on peut l’employer dans tous les sens. On peut parler de projet de territoire, comme de territoire de projet. Frank Lepage en parle très bien dans sa conférence gesticulée1, on peut en parler dans tous les sens.

Pour la notion de dissonance, je parlerai d’une matinée organisée récemment à Marseille par le POLAU2, une association qui a pour mission de rapprocher les artistes et les aménageurs du territoire, urbanistes, architectes. Cette matinée a été exemplaire de l’utilisation de certains mots dont il faut se méfier : « territoire », « acteurs », « aménagement », et bien évidemment « projet », sans cesse utilisé. A tel point qu’une des opératrices invitées disait : « nous, sur place nous faisons des projets mais nous ne savons pas bien pourquoi ? ». La dimension programmatique du projet se dissout parfois dans son utilisation ordinaire. Elle disparaît alors qu’elle devrait apparaître en premier. Dans cette dissolution émerge quelque chose, le « mode projet » qui consiste à se préoccuper d’abord du « comment faire ? » et non pas de la finalité. Depuis le début des années 2000, pour l’ensemble des collectivités territoriales qui montent des projets, l’important est de savoir comment monter des projets, comment ça va marcher, mais surtout l’important est de ne jamais interroger à quoi ça sert, ni quels sont les objectifs. Ce qui n’empêche pas de faire l’évaluation, qui fait partie intégrante du projet.  Entre les deux, ce que ça va produire n’a aucune importance, c’est secondaire.

C’est la même chose avec n’importe quel programme de formation, c’est le même protocole adopté : se préoccuper de comment faire, pourquoi (on ne sait pas très bien), et on essaiera d’évaluer ce qui  est fait. Mais surtout de ne pas s’interroger de manière critique sur : à quoi cela sert ? pour quelles finalités recherchées ? Et ce que cela va produire sur le terrain en termes d’humanités ? Vous voyez que la notion de projet évacue d’emblée la notion d’humanité. Prenons un terrain empirique à l’hôpital : que vous soyez patient ou visiteur, vous vous rendez rapidement compte de la matérialité de la notion de projet à l’hôpital dans l’organisation du travail. Les médecins défilent, les infirmières défilent, et tous font des actes qui sont comptabilisés dans le projet de l’hôpital. Il faut pouvoir compter et évaluer ce qui est fait, tout un protocole programmé en amont par des managers qui vont décider du temps nécessaire pour prendre la tension d’un patient, pour une prise de sang, ou bien pour parler avec un malade… C’est le projet de soins de l’hôpital, qui vient du management libéral. Dans cette notion programmatique de l’application concrète du projet à l’hôpital, la notion de corps-à-corps disparaît, des soins qui passent par le corps, car ceci n’est pas comptabilisé par les actes (ça prend trop de temps, il y a trop d’humain). On ne peut pas programmer le corps-à-corps, on ne sait pas ce qui va se passer. Le toucher sera-t-il médical ou de l’ordre de la caresse ? Ce toucher de l’ordre de la caresse est hors programme, hors projet. Le projet va sélectionner dans l’organisation du travail que ce qui est réglementé et réglementaire, et qui s’inscrit dans une logique de rentabilité du libéralisme économique.

Alors, parmi un certain nombre d’auteurs qui se sont intéressés à l’usage des mots, à leur signification et leur sémantique, le fondateur a été Victor Klemperer3, avec son analyse sur le vocabulaire du IIIème Reich (rappelez-vous, les nazis n’utilisaient pas le terme « extermination » mais « solution finale »). Or, entre la solution finale et la manière dont Lionel Jospin et le Parti Socialiste parlent des ouvriers, il y a eu concordance, lors de leur campagne présidentielle au début des années 2000 : ils ont oublié de parler des ouvriers, ils ont parlé d’autre chose. On ne parle plus des « prolétaires », on ne parle plus de « classe ouvrière ». L’intervenant philosophe lors de la dernière séance de Pensons Le Matin disait qu’on ne peut plus parler de « classe », sauf pour les dominants. Au cours des années 1980, les années Mitterrand, la négation de ce vocabulaire a commencé, cette énorme investigation sur le langage qui va tendre à supprimer certains mots pour en substituer certains mots (une « technicienne de surface » pour une « femme de ménage » ; un « projet de rénovation » qui a pour objectif de chasser les plus pauvres et d’attirer les plus riches). Rénover, ce n’est pas amener du  +, mais du + joli pour pousser dehors les + pauvres. Un projet d’établissement à l’école, c’est demander aux enseignants de travailler + pour moins de salaire, et de chercher eux-mêmes des fonds pour monter leurs projets.

Dans cette constellation d’auteurs, il y a aussi James Austin, critiqué ensuite par Pierre Bourdieu dans son livre : « Ce que parler veut dire ». Face à Austin qui dit « je bénis ce navire » (et la parole devient un acte), Bourdieu rappelle qu’il faut s’interroger sur qui émet cette parole, et dans quel contexte et dans quel rapport de forces est-elle émise. Jean Baudrillard évoque le règne de la simulation / simulacre, dans son ouvrage encore disponible « Les stratégies fatales ». Il parle, notamment, du « règne de l’hyperfonctionnalité », qui est bien celui du mode projet : comment faire mais ne pas savoir ce que cela va produire. En consonance avec le mouvement « Nuit Debout », je citerai Michel de Certeau4  qui, dans son ouvrage « La prise de parole et autres écrits politiques », avait montré en mai 1968 cette méfiance généralisée face au langage des institutions (État, Église, Université, Prison, etc..) et une attaque en règle des mots du pouvoir, des mots des dominants directement associés à une forme de coercition.

Avec le mode « projet », on peut observer une forme de coalescence du pouvoir et du langage. Au lieu de cette dissociation pointée en mai 1968 par les ouvriers, par les étudiants, par les manifestants, aujourd’hui on a, au contraire, une réunion très forte, dans le mot « projet » entre les deux, et qui n’est jamais critiquée. Lors de cette réunion du POLAU, les intervenants le disaient très clairement « on ne va pas examiner d’un point de vue critique ce que nous allons vous présenter ». C’est hors sujet, on réserve cela aux réunions militantes. Cela n’a pas lieu d’être, car c’est un projet, c’est positif, c’est innovant, c’est joyeux, c’est gai, c’est jeune, c’est rafraîchissant, c’est enchanteur … et en fait ça nous enferme, c’est tout le contraire !

L’émergence du mot « projet » a été aussi analysée par Luc Boltanski et Eve Chiapello dans leur ouvrage : « Le nouvel esprit du capitalisme », où ils pointent le plus grand nombre d’occurrences dans les manuels de management des années 1990. C’est le mot phare des années 1990, sur lequel nous vivons encore. Pour le dire rapidement, ce régime linguistique dans lequel nous vivons, qui imprègne nos subjectivités, vient des années 1990 et de la domination progressive du libéralisme. D’autres auteurs, comme François Cusset5 rappellent comment s’effectuent ces processus de substitution qui commencent dans les années 1980 et s’enracinent dans les années 1990. Et, plus récemment, Eric Chauvier6  a introduit une notion assez intéressante, celle de fiction théorique. Quand je dis que j’ai un projet de vacances, j’en parle de manière savante, je lui donne du prix, de l’importance, de la valeur. Quand je parle de « projet artistique créatif », je donne de la valeur à mon projet, ce n’est pas un projet avec des saltimbanques, pieds nus, qui n’ont pas le sou, qui sont mal habillés, qui ont le cheveu long, qui vont réenchanter le milieu urbain… non, ce sont des gens reconnus, qui ont un statut… ainsi je rentre dans une forme d’institutionnalisation grâce au « mode projet ». Je rentre alors dans le costume gris des professionnels des années 1970. Rappelez-vous la DATAR, l’aménagement du territoire, tous ces technocrates au costume gris qui ont procédé au remembrement des campagnes ou au tracé des autoroutes. Tout devient alors rationnel avec le mot « projet », je me rassure avec ce mot-là. Tout le monde le comprend, ce n’est pas un concept importé de la philosophie ou de la biologie.  Aujourd’hui, cette critique de l’usage de certains mots est reprise par certains auteurs, parmi eux Patrick Boucheron7, historien. Un article de Médiapart reprend une discussion avec l’ancien ministre Benoît Hamon, où il pointe cette dévaluation du langage, le fait que les mots deviennent vides, ce règne de la langue de bois.

A propos du mouvement NUIT DEBOUT qui aurait constitué une commission « mots », on peut parler de télescopage médiatique. A noter, ce qui est reproché médiatiquement à NUIT DEBOUT, c’est bien de ne pas avoir de projet. Les journalistes et les analyseurs politiques en sont désarçonnés, les syndicalistes sont fous. Il faut un projet ! Autre télescopage : Jean-Marc Adolphe, rédacteur en chef de la revue Mouvement, qui écrit, dans un autre article de Médiapart et à propos de Nuit Debout : « il se passe quelque chose, sauf dans la culture ». Adolphe met le point sur quelque chose qui fait mal : avec le mot « projet », les acteurs culturels ne cessent de parler de révolution et d’humanisme. Dissonance cognitive extraordinaire, car avec le mot « projet » l’humanisme s’en va en courant ! Adolphe montre que les acteurs culturels sont étrangement absents de ce mouvement, de cette parole libérée, qu’ils ne s’en préoccupent très peu, qu’ils sont comme à l’écart, dans leur grande majorité. Certains d’entre eux sont présents certes, s’intéressent, prennent la parole. Mais dans les institutions culturelles, il y a comme un retard à l’allumage, que Jean-Marc Adolphe met en similitude avec la reprise de la saison en 2003. Après la grande grève et l’annulation du festival d’Avignon en 2003, à la rentrée théâtrale, seuls deux théâtres avaient continué à faire grève, la majorité des théâtres en France avaient ré-ouvert leurs portes.

Pour conclure : dans les années 1960, il y avait des appels à résistance, maintenant il y a des appels à projet !

1 Inculture(s) 1 : La culture – Franck Lepage – Scop Le Pave – Conférence gesticulée :

2 POLAU Pôle des arts urbains | Pôle de recherche et d’expérimentation sur les arts et la ville

3 Victor Klemperer, auteur notamment d’une « Histoire de la Littérature française au XVIIIème siècle » et d’un journal personnel, « Lingua Tertii Imperii », décryptage de la novlangue nazie utilisée comme moyen de propagande.

4 Michel de Certeau, « La Prise de parole et autres écrits politiques », Paris, éd. Le Seuil, 1994.

5 François Cusset, « La décennie. Le grand cauchemar des années 1980 », Paris, La Découverte, 2006.

6 Éric Chauvier, écrivain et anthropologue – « Les Mots sans les choses » – Conférence :

7 Patrick Boucheron, auteur de « Conjurer la peur » – Chercheurs vs politiques (2/4) : Après les attentats, quelle république voulons-nous ?. Aussi, Les débats du Mucem

Bernard Organini :

Je souhaite embrayer sur le mot « projet ». Plus notre univers devient incertain, plus l’illusion de vouloir le planifier devient obsédante. D’où cet envahissement de l’impératif de contrôle, et donc de l’injonction au projet qui habite tout notre univers. Deuxième aspect que je veux mettre en relief : je travaille dans le milieu médico-social, dans lequel une loi de 2002 fait obligation pour toutes les institutions, d’avoir un projet institutionnel, d’une part, et, d’autre part, de construire un projet individualisé pour chaque personne reçue. Je suis enseignant dans un institut de formation pour éducateurs, assistantes sociales, et j’ai des stagiaires en formation qui sont en stage en institution qui voient comment se construisent ces « projets ». Je fais partie des fabricants ! Ces stagiaires m’ont souvent rapporté cette situation particulière dans laquelle ils se trouvent, de devoir demander à des personnes d’avoir un projet. Et ce qui leur est renvoyé par ces personnes, de manière naïve : « et toi, tu en as un ? ». Pour être normal, il faut voir un projet ! Que signifie cette artificialisation de sa vie qui consiste à devoir la reformuler sous l’angle du projet ? Effectivement, dans ton exemple sur les vacances, même si certains planifient leurs vacances parfois de façon obsessionnelle, la plupart d’entre nous voient venir dans un univers d’incertitudes les quelques moments où il faut rationaliser. De là à sortir de façon claironnante que nous avons chacun un projet individualisé, ce serait exagéré. Ce qui est sous-jacent, c’est ce que certains ont appelé : « devenir entrepreneur de soi ». Je crois que le projet humain que nous propose notre monde libéral, c’est de devenir sa propre petite entreprise. C’est le schéma de l’entreprise qui viendrait « vertébraliser » notre personne. Cette injonction au projet nous pénètre et nous transforme insidieusement. Ce caractère insidieux est important. Dans beaucoup de situations, et je préfère m’appuyer sur celles que je maîtrise professionnellement, c’est pleinement justifié. Parce que, avant que soit devenue la norme d’individualiser les prestations, il y avait le même menu pour tous. Et dans les institutions médico-sociales, quand on en avait vu une personne, on les avait toutes vues. Même programme pour tout le monde. Ainsi, ce mode projet est apparu comme une humanisation, comme une professionnalisation de dire à des éducateurs « faites individuel, faites adéquat à la situation ». C’est en s’appuyant sur quelque chose de crédible, voire de démocratique et d’humaniste, que ce cheval de Troie du « projet », de l’univers de l’entreprise, pénètre dans nos pratiques et dans nos têtes.

Je vais vous proposer un autre mot. Je vais faire défiler avec vous quelques mots de l’usage de la ville, des politiques publiques, et nous allons voir comment ils fonctionnent. Le premier mot que je vous lance est « mixité sociale » : je vous demande ce que c’est, pour vous ?
– « avoir des services publics pour que toutes les populations, riches ou pauvres, soient mélangées ». On parle aussi de bus ou de piscines pour les hommes ou pour les femmes, est-ce la même question ?
– André propose : je peux vous parler de mon vécu quotidien : j’habite le centre-ville et je fais toutes mes courses à Noailles. Si vous venez manger chez moi, vous verrez alors le résultat de la mixité sociale de ce quartier.
– Didier propose : un exemple de mixité sociale que je peux donner, inspiré par l’affichage publicitaire qui défile, je vois une affiche pour une publicité pré-électorale qui montre Solange Biaggi sur un fond de drapeau français avec le slogan « Aimons la France » … et je pense à sa définition de la mixité sociale, (qui  n’est pas la mienne) qui est : « il faut que les riches viennent dans le centre-ville de Marseille. La mixité sociale, ce n’est pas que les pauvres. Nous, on fait de la mixité sociale, avec des outils comme le tramway ». Or vous savez que le tramway est plus qu’un seul moyen de transport, c’est avant tout un outil de requalification de l’espace public.
– Gilles propose : selon la politique de la ville, la mixité sociale fait référence à une période historique mythique idéale où les ZUP, après la reconstruction, regroupaient de nombreuses populations mixtes composées de jeunes, d’ingénieurs, de cadres, de techniciens, d’ouvriers. Ce nouveau concept ré-instillé en 2003 par la politique de Rénovation Urbaine, vise à recréer quelque chose de mythique qui n’a jamais existé.
– Mireille propose : Je préciserai deux acceptions : d’une part, l’offre de logements où sont mêlées accession à la propriété et location. Et d’autre part, ce qui est proposé par l’État, via le Préfet, aux communes carencées en logement social : on va proposer des contrats de mixité sociale qui s’adresseront aux communes carencées qui ont fait un certain effort pour tendre vers les 25 %, la norme, et même si l’effort est minime.
– Pierre propose : pour moi la mixité sociale, c’est trois verbes : contrôler, planifier, et surtout mesurer, avoir le contrôle à la mesure d’une population et d’un espace.
– Patrick propose : les élus en place comme Solange Biaggi ou Sabine Bernasconi fondent leur discours sur le triptyque magique commerces-tourisme-culture. Pour elles la culture est l’un des instruments du changement urbain voulu par cette équipe politique, celui d’une ville tournée sur l’accueil de populations aisées. Elles disent aussi vouloir faire de la Canebière un quartier se rapprochant de « Soho ou de Broadway », c’est-à-dire les quartiers les plus visités, les plus huppés et également les plus chers de Londres ou de New York, qui figurent parmi les villes les plus chères du monde… Le mètre carré à Soho figure à 25 000 euros, et 35 000 euros à Broadway. En fait c’est un projet excluant qui ne le dit pas…un projet affiché de mixité sociale, celui de chasser les pauvres.

Bernard fait un retour à l’étymologie : « mixité » renvoi à un terme latin qui signifie « mélange ».
Je vous invite à réfléchir à tout ce qui vient d’être dit, notamment par Mireille, sur ce qui ressemble plutôt à une juxtaposition. Il y a une tendance à croire qu’il suffit de mettre les gens les uns à côté des autres pour qu’ils se mélangent. La réflexion est plus importante pour nous, car le défi s’adresse à nous, aussi. Quand je dis « nous », je parle à la fois de personnes qui se proposent d’avoir un autre projet de société dans lequel le vivre-ensemble serait au poste de commandes, mais aussi de ceux d’entre nous qui affichent la position (et j’en suis) : « moi je n’ai pas peur de me mélanger ». Mais dès lors qu’on procède à une analyse un peu plus fine (du type : mais qui vient manger chez toi ? Qui invites-tu ? Tes gosses sont scolarisés où ? ) on se rend compte que des populations peuvent vivre à côté les unes des autres, sans se fréquenter vraiment. En poussant plus loin la réflexion, un ensemble d’études montrent que la mixité sociale s’est avérée être un mécanisme de renforcement de ségrégation sociale, c’est-à-dire le contraire de ce qui était souhaité. Par exemple, la politique du busing 1, politique volontariste qui consistait, aux États-Unis, à transférer les enfants des quartiers noirs dans les écoles blanches, s’est avérée contre-productive car la souffrance des enfants noirs à se retrouver dans un milieu hostile n’était pas compensée par le bien-être d’une école de prestige où les performances scolaires étaient plus élevées. Un autre exemple plus proche de nous, l’intégration scolaire des enfants handicapés qui s’est mise en place en France depuis les années quatre-vingt 1980, a donné lieu à un certain nombre d’entrées dans les écoles publiques ordinaires d’enfants, qui étaient jusque-là ségrégués dans des milieux spécialisés, ce qui a produit des effets mitigés, notamment des effets de désignation du « monstre » ou du « fou du coin ».
Un autre exemple qui m’a marqué : après une importante vague de chaleur en Amérique du Nord, il y a une quinzaine d’années, les autorités de Chicago ont fait une enquête pour comprendre pourquoi un certain nombre de personnes âgées et en grande difficulté sociale étaient mortes, alors qu’une information systématique avait été diffusée dès les débuts de la canicule incitant ceux qui ne disposaient pas d’air conditionné à se rendre dans des centres de quartiers programmés pour les accueillir. On a découvert que les secteurs de plus grande hécatombe de personnes restées chez elles, et mortes par la canicule, étaient des secteurs de politique volontariste de mélange avec des populations toxicomanes et personnes âgées. Celles-ci, depuis qu’elles côtoyaient au quotidien des toxicomanes, vivaient dans l’angoisse permanente de se faire cambrioler. Elles sortaient donc le moins possible de chez elles. C’est pourquoi la consigne d’alors : « sortez de chez vous et allez-vous mettre au frais » n’avait pas été suivie.
Voilà des exemples qui nous invitent à réfléchir sur cette dimension volontariste de la mixité à tout prix. C’est une façon de raisonner et de relativiser cet idéal qui nous est présenté. Non, les populations, les groupes sociaux, les groupes d’âges peuvent se mélanger s’ils construisent quelque chose ensemble. C’est dans le faire-ensemble que, éventuellement, de la mixité peut se construire, à terme.
1 « busing » ou déségrégation scolaire

Le débat est ouvert :

Molly rappelle que, parmi les militants des années 1970, il y avait de la mixité sociale. Dans le militantisme politique ou syndical, les gens se mélangeaient, professionnellement ou dans les classes d’âge. On a beaucoup perdu là-dessus. Effectivement, on habite boulevard d’Athènes, on fait nos courses à Noailles, on participe à des associations qui aident les gens dans la rue, mais nous ne nous mélangeons pas. Je suis entièrement d’accord avec toi. Ce mélange social provenait du fait qu’on faisait des choses ensemble. On ne parlait pas de projet, mais d’objectif. Et c’est l’objectif, idée longuement débattue, qu’on transformait en action. Et là, on pouvait avoir une mixité sociale. On a beaucoup perdu ! Peut-être qu’avec le mouvement NUIT DEBOUT, on pourra retrouver ces différences classes d’âge et couches sociales ? Je le souhaite.

Bernard continue sa réflexion critique sur l’usage du terme « mixité sociale ». Certains d’entre vous ont évoqué la façon unilatérale de présenter, par les élus de Marseille mais c’est assez général en France et dans le monde, la mixité sociale, quand il s’agit de réinvestir les quartiers centraux ou populaires des villes. Ça n’est jamais pour rendre de la mixité sociale à Neuilly, mais pour en introduire là où les populations populaires sont majoritaires. Si le terme de mixité signifie mélange, il est devenu dans le langage politique et des gestionnaires de l’urbain le contraire du mélange, plus précisément le remplacement des uns par les autres. Arithmétiquement parlant, y compris par des calculs savants, le résultat est celui escompté, et l’on parle de « pourcentage des pauvres ». Mais concrètement la qualité de vie des gens qui habitaient là n’a pas été améliorée, simplement certains sont poussés hors de ce quartier et d’autres, plus aisés, plus qualifiés, sont arrivés. Ce mot renvoi à l’impossibilité de critiquer une politique non-ségrégative. La mixité sociale est pour combattre la ségrégation sociale.
Ainsi, on constate deux travers au terme « mixité sociale » : un effet de renforcement de la ségrégation par politique volontariste, et la justification du remplacement d’une population par une autre.

André reparle du busing : si ce type d’action n’est pas suivi par une transformation profonde de la société, on aboutit effectivement à l’effet que tu annonces. Il faut qu’il y ait derrière une réflexion qui dépasse cette action ponctuelle pour entraîner une nouvelle manière de fonctionner ensemble. Sans cela, les bonnes volontés sont limitées, voire être néfastes.

Claudine: la question de la mixité sociale n’est-elle pas une utopie ? Ne s’imposant pas d’emblée à une société, elle n’est jamais stable et acquise, alors c’est plus une espérance qu’une réalité, non ?

Mireille : je veux défendre une action de bonne volonté, une action d’une structure d’enseignement jésuite à Marseille, qui dans un même lieu mêle pour quelques jours des élèves d’un lycée populaire des quartiers nord et ceux du lycée Provence, très sélectif. Il s’agit de regrouper des élèves qui veulent tous devenir médecins. Eh bien, ça marche ! Je pense que des actions de bonne volonté ne sont pas inutiles, car elles rendent possible l’utopie, et peuvent faire tache d’huile. Ce n’est malheureusement pas connu, mais ça assoit le rêve.

Didier parle de mixité au niveau international : où sont localisés les bassins d’emploi, le tiers-monde, les atteintes à l’environnement, et quelles sont les actions politiques qui empêchent le déplacement forcé des populations, quelles qu’en soient les causes ?

Alain : on n’a plus d’utopie sur notre société, depuis l’écroulement du bloc soviétique, on vit avec l’impression de ne pas avoir le choix de nos modes de vie. Le vocabulaire change : « charges sociales » au lieu de « cotisations sociales », « plan social » pour « licenciement », et de dire « mixité sociale » évite de dire « c’est fini ». Pour agir sur le social, il vaut mieux développer l’égalité et la justice sociale plutôt que ce mélange. Pourquoi faire venir les noirs chez les blancs, et pas l’inverse ? Je pense que la mixité sociale est terminée. Dans notre quartier du troisième arrondissement, l’association « les têtes de l’art » ont fait un film intéressant sur la société France Telecom, installée boulevard National : aucuns de ceux qui y travaillent n’habitent l’arrondissement ! Il manque tellement d’écoles et de services. Vous savez, il va y avoir 6000 logements supplémentaires dans le troisième arrondissement, et certaines écoles vont être supprimées. Les gens ne vont pas venir habiter dans ces quartiers-là ! Sur le secteur d’Euroméditerranée, on dit que l’école privée construite rue de Ruffi sont pour les cadres d’Euroméditerranée : la mixité sociale à Marseille, je n’y crois pas beaucoup !

Bernard rebondit sur l’exemple des jésuites, dont parlait Mireille : l’erreur est de croire que la mixité puisse être un objectif, une finalité en soi. Ce peut être un résultat éventuel, selon l’ambition ou la qualité de ce qui est à faire ensemble et qui pourrait nous amener à nous apprécier mutuellement. Autrement dit, ce serait la mise en œuvre d’usages, qui seraient tellement attractifs que des publics différents en âge ou revenus acceptent d’avoir une pratique commune, qui améliorerait la communication entre groupes sociaux. Le tout est de trouver ce qui pourrait faire objectif commun ? … et je crois qu’on en n’a plus.

Gilles : la mixité sociale n’a jamais existé. Depuis le XIXe siècle, ni les courées ni les cités jardins n’organisaient la mixité. C’est une construction idéologique, récurrente de la part de bons samaritains, porteurs de la lutte, qui inventent un concept creux qui n’a pas de sens réel, hormis dans un lieu donné, autour d’un usage précis, des pratiques conjointes. Mais le principe politique de mixité est un mythe colporté par ceux qui nous gouvernent.

Claudine : le mot « mixité » peut exprimer l’utopie, et détourné ou devenir un carcan. Il ne faut pas oublier la vie dont ils sont porteurs potentiellement, pour mieux en souligner les détournements, les effets de substitution ou la perversité. Le mot « territoire », ou « intégration », peuvent correspondre à une utopie, pas forcément négative en soi, et devenir, à l’usage, dictatorial parce qu’impossible. Mais il continue d’interroger : mixité hommes/femmes, mixité urbaine…. ?

Jean-François indique que le mot «mixité sociale» évoque une dimension purement statistique. Cela vient peut-être de ma formation d’économiste et sociologue. Je parle aussi de l’importance de la vie sociale, et des expériences : je voudrais faire référence au dernier livre de Joëlle Zask, à propos des jardins partagés. Les gens ne cultivent plus leur jardin de zone pavillonnaire, ils préfèrent aller passer leur temps avec des gens qui leur ressemblent. Gentrification est un terme très employé aujourd’hui, il a beaucoup évolué et dépasse la seule réalité statistique dont, on l’affuble.

Bernard prolonge son intervention en évoquant le terme «  gentrification ».
Apparu récemment et utilisé par les urbanistes, les géographes, les sociologues et les politistes, il  permet d’aller au-delà du seul remplacement d’une population par une autre. Là, il s’agit de regarder un processus en train de se fabriquer. L’étymologie du mot est intéressante : « gentry » en anglais, signifie « petite noblesse ». Et le fait est étonnant que ce terme de petite noblesse soit repris pour désigner un processus urbain à la fin du XXe siècle (il a été utilisé pour la première fois par une urbaniste anglaise, fin des années 1960, puis dans les années 1990 de manière plus généraliste), pourtant très éloigné de l’univers de l’Ancien Régime. Je rappelle que le livre de Pierre Bourdieu, « La Distinction », commence par une analogie entre le capital culturel et la noblesse. C’est-à-dire qu’il y aurait, en quelque sorte, présence dans la société contemporaine de quelque chose qui fonctionne comme fonctionnait la noblesse autrefois, une qualité à l’intérieur des gens et non pas, comme la propriété, à l’extérieur des gens. Autrement dit un bourgeois est un propriétaire, qui possède usines ou appartements, et les moyens de production (et qu’il en dépossède les autres !). L’analogie entre capital culturel et noblesse se traduit par le mot « gentrification », et non « embourgeoisement », nuance subtile à noter, car la valeur de quelqu’un qui dispose du capital culturel n’est pas à l’extérieur de lui, mais à l’intérieur de lui. C’était une façon d’être qui en imposait par une manière de parler, une manière de poser son corps. Vous savez qu’ils avaient le monopole de l’art de se battre. La construction de la classe passe par une discipline corporelle. Bourdieu insiste beaucoup sur le fait que le capital culturel est à l’intérieur des personnes, après de longues études qui peuvent ressembler à une véritable initiation, analogue à la manière dont on devient psychanalyste, longue initiation également qui se différencie d’un apprentissage classique. La question de la gentrification nous indique dès son étymologie, qu’on a affaire à quelque chose de complexe, ce que traduisent les différentes études, qui en arrivent parfois à se contredire. Certaines privilégient l’action des pouvoirs publics, volontariste sur le bâti, comme initiatrice. Alors que d’autres disent symboliquement l’image de ce quartier avait changé car des « voltigeurs culturels » étaient arrivés et s’étaient emparés de friches culturelles, de squattes culturels. Ainsi la gentrification se construit. Les débats entre sociologues anglais et américains sont tendus. Le processus se parle au travers d’un prix de vente de l’immobilier au mètres carrés (prix multiplié par deux sur la rue de la République à Marseille ; il y aura forcément un pigeon au bout !), d’opérations lourdes d’accompagnement (ou d’incitation), à regarder de près car ça peut foirer. Nous, avec l’avenue de la République, on a l’exemple que ça peut foirer lamentablement. Regardez le nombre de logements et de magasins vides, entre la place Sadi Carnot et la Joliette ! Il est vrai que la multiplication des centres commerciaux accentue le massacre des commerces. Voilà sur le mot « gentrification » : mon propos est plus nuancé, car là nous avons affaire à un concept, construit, alors que le terme « mixité sociale » apparaît bien plus comme un cheval de Troie du remplacement, un outil politique fait pour réinvestir les centres-villes populaires et exclure les populations existantes.

Jean-François : pour illustrer ton propos, j’ajoute que le processus de la Friche a changé, un peu, l’image du troisième arrondissement. Mais dans les clips réalisés lors de l’année 2013, la ville « qui bouge », il n’y avait aucune image du troisième arrondissement, sauf de la Friche. Au point où nous, au sein du collectif des Brouettes, avons réalisé un petit film intitulé « plus belle la Belle », qui représente la Belle de Mai comme nous on la voit et on la vit, ce qui n’a pas la même image. La maternité de la Belle de Mai va se transformer en village vacances (sociales ?), alors que le quartier manque cruellement d’équipements de base (transports, bibliothèque, etc..). Et les Casernes vont être rénovées : madame la maire d’arrondissement est venue nous expliquer que le quartier allait prendre de la valeur du fait de ce beau projet, et qu’il ne fallait surtout pas vendre ! Voilà le processus de gentrification !

Reine : je voudrai faire le lien entre ce qui vient d’être dit et la première intervention de Christophe. Les propos de Jean-Marc Adolphe (« il se passe quelque chose, sauf dans la culture ») concernaient une certaine forme de culture, la culture institutionnelle, qui effectivement reproduit une aristocratie des meilleurs à la tête des instances culturelles et fonctionne dans l’entre-soi. Mais, dans les années 1970 et 1980, accédaient à la direction d’institutions culturelles beaucoup de gens à l’itinéraire hasardeux, en provenance souvent des comités d’entreprise. Depuis que la formation des cadres d’institutions culturelles est prise en charge par l’Université, tous ces anciens cadres-là ne se sont pas reproduits, et le petit monde de l’aristocratie s’est refermé sur lui-même. A l’inverse, lors de crises en milieu hospitalier, qui fonctionne aussi sur la base de projet et de modes d’organisation, l’humain existe encore grâce aux gens qui travaillent et consacrent leur énergie à ce que les patients soient épargnés du fonctionnement institutionnel de l’hôpital. Cette présence de l’humain est importante à souligner. Enfin, sur la notion de projet, j’ai, professionnellement subventionné beaucoup de projets culturels, et j’ai souvent rappelé que le bilan se faisait sur la réalisation du projet. Le projet est la programmation de ce qu’on se propose de faire, et c’est bien la réalisation qu’on analyse. C’était vrai à une époque où les projets étaient proposés sur papier libre, et la manière de présenter le projet, son marketing, comptait. J’ai souvenir d’avoir reçu de la part d’artistes des projets insérés dans de jolis objets en bois, ce qui induisait la poésie du projet, dont on pouvait supposer qu’elle devienne réelle. Aujourd’hui, avec les imprimés Cerfa, ce n’est plus possible. Là encore, la part de l’humain produisait une certaine résistance, alors qu’aujourd’hui avec tous ces outils, la résistance est empêchée.

Christophe revient sur le terme de gentrification. Les dominants utilisent l’identité sociale pour proposer la gentrification, alors que les militants de la ville dénoncent la gentrification, mais elle est alors servie en sous-main par les « voltigeurs culturels ». Dans ce processus en boucle, on ne sait plus très bien où l’on est, et s’installe alors la confusion et des dissonances, ce qu’on appelle le paradoxe de Bossuet 1 . On en est réduit à parler de choses dont on ignore la portée en termes d’expériences et de politique. Voici des exemples de la falsification du langage, qui émerge dans les années 80 et prend son régime de croisière dans les années 90. D’un point de vue pragmatique quant à l’usage des mots, nous vivons aujourd’hui dans une confusion généralisée. Ce processus d’aliénation de nos subjectivités n’est pas formulé, car il est tabou à l’Université, tabou dans les colloques, tabou dans les symposiums. Le mot « aliénation » n’a pas le droit de cité à l’exception de quelques milieux militants qui travaillent sur la psychiatrie. Ce n’est pas un terme digne d’être mentionné. Deleuze a bien parlé de ces mots d’ordre du libéralisme, dans l’une de ses conférences que vous pouvez trouver sur YouTube. Guattari parle également de ce « cabossage » ou « écrasement des subjectivités », depuis longtemps. Dans les langues savantes que nous échangeons, personne n’ose de dire « mais tu es complètement aliéné ! » en parlant de projet ou de gentrification, parce que c’est hors sujet, ça n’a pas droit de cité. Par ailleurs, quand vous discutez avec des étudiants en aménagement ou en urbanisme, ils disent qu’on leur apprend à utiliser ces éléments de langage mais sans aucun esprit critique. On leur apprend à construire de beaux gâteaux très creux avec tous les mots savants. Dont notamment le mot « territoire », à propos duquel j’aimerai citer l’article de Denis Retaillé, géographe à l’université de Bordeaux, qui avoue ne plus utiliser ce terme ni celui de « réseaux », alors que ce sont des concepts de la géographie, parce qu’ils empêchent de penser les rapports de force.

Oui, je suis d’accord avec vous concernant les gens qui résistent au sein des institutions, comme l’Hôpital ou l’Éducation, mais au prix de leurs souffrances et d’un éventuel burn out. La double contrainte du libéralisme hégémonique contemporain, c’est qu’on demande à ces gens qui travaillent dans quantité d’institutions, d’appliquer le règlement à la lettre. Même à Leroy Merlin ! J’ai un camarade qui travaille à Leroy Merlin, un manager arrive et leur dit « non, vous allez faire à Grand Littoral ce qui se fait à Plan de Campagne ». Le gars s’étonne, car les organisations ne sont pas les mêmes, ce qui se fait à Plan de Campagne, avec un service après-vente à proximité notamment, n’est pas pareil qu’à Grand Littoral. Le manager affirme qu’au nom de la rentabilité on va faire pareil. Conséquence : tout le monde s’en va, ou craque. Ceux qui résistent se font reprocher le temps passé à discuter, or ce temps-là, d’échanges d’expériences et de protocoles, est fondamental ! Parler de son expérience était fréquent dans les années 1970, aujourd’hui, c’est terminé. Le manager s’appuie sur les protocoles censés tout envisager. Vous voyez, cette résistance existe aujourd’hui mais, et des chercheurs comme Christophe Dejours ou Lise Gaignard le soulignent, elle disparaît sous la dissonance cognitive ou la souffrance au travail. Si l’institution reste encore un peu souple, ils aménagent, mais quand ce n’est plus possible, les gens s’en vont ou tombent malades.

1 On connaît la célèbre phrase de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes ». Pierre Rosanvallon l’appelle le « paradoxe de Bossuet », la situation politique et sociale dans laquelle les hommes déplorent en général ce à quoi ils consentent en particulier.

Bernard ajoute que ce protocole de la rationalité libérale, c’est l’alien dans la tête contre lequel on ne sait pas encore bien résister. On devrait peut-être organiser bientôt une séance de Pensons le Matin sur cette approche de l’aliénation, non pas les fous de l’asile, mais l’aliénation au sens où un alien dans ta tête impose sa logique en toi sans que tu en maîtrises les éléments.

Alain revient sur le mot « gentrification », qui lui semble souvent utilisé pour que les gens ne comprennent pas. « Mixité sociale » et « gentrification » donnent une connotation positive et un flou. A la télévision ils parlent de « plan social » pour éviter de parler de « licenciement », ce qui oblige à accepter les choses via le vocabulaire. « Gentrification » n’est pas connu par les trois-quarts des Marseillais, à part ici.

Sylvette souhaite reparler de mixité sociale au travers de l’éducation. Si on donnait des moyens aux écoles publiques, elles pourraient atteindre plus aisément une vraie mixité sociale. Il faudrait que les municipalités s’occupent plus des écoles, et d’organiser de vrais lieux de rencontre dans l’espace public, à tout âge. L’université est bien plus mixte que les grandes écoles. L’éducation devrait être source de mixité sociale, ce qui n’est pas réalisé aujourd’hui. Il est dommage qu’ici, on en fasse plus pour les écoles privées que pour les écoles publiques.

Gilles revient sur la notion de projet, et cite un témoignage professionnel, partagé avec d’autres, de tentative de perversion de la notion de projet, dans le milieu professionnel de la politique de la ville dans les années 1980, où les questions de la démocratie et le développement urbain étaient réfléchies. Plus tard, j’ai été chargé de transférer ces initiatives dans d’autres quartiers de Dunkerque, et de faire en sorte qu’autour de la question de projet, on étende les pratiques démocratiques. Malheureusement il ne semble pas que la démocratie s’installe sans une projection collective dans l’avenir. Il n’y a pas de vivre-ensemble sans construction d’un partage dans un avenir lointain. Le transfert de cette histoire sur d’autres quartiers de la ville a été un échec flagrant, car le seul projet entendu a été celui de l’agglomération, voir celui du Maire à l’échelle de la ville. Mais rien n’a remonté pendant cinq ans, d’où mon impression d’échec.

Bernard veut, pour terminer, proposer un terme chic : que pensez-vous du mot « bobo » ?
– André : tout le monde sait ce que c’est, mais on ne sait pas le définir !
– Christophe : bourgeois-bohème, c’est une expression dans l’air du temps, à la connotation positive, conforme à tous les mots d’ordre déjà évoqués, parce que utilisée pour désamorcer toute réflexion critique sur le contenu de cette nouvelle classe sociale. Elle désamorce la notion d’embourgeoisement par la notion de bohème-artiste. Elle désamorce l’origine des revenus : parmi les trois origines de revenus (revenus du travail, revenus des minima sociaux, et revenus de la rente), le bourgeois-bohème vit de la rente. Qu’il soit artiste-bohème, ou étudiant-bohème ou retraité-bohème, il vit de la rente. Et la rente c’est quoi ? des placements en bourse ou des revenus immobiliers. C’est ma vision. Empiriquement je constate que ceux qui affirment vivre avec trois fois rien, ceux-là ont des rentes ; ceux qui vivent vraiment chichement ne s’en vantent pas, et n’en font pas une manière de vivre « bourgeois-bohème ». Le bourgeois-bohème extériorise un mode de vie exaltant, risqué, plein d’aventures. Ceux qui vivent vraiment cette aventure au quotidien, n’ont pas le cœur à l’étaler sur la place publique !
– Claire : on se rend compte que ce mot est utilisé à des fins qui ne conviennent pas. Qui est bobo et qui ne l’est pas ? Qui l’utilise et à quelles fins idéologiques ?
– Jean-François : pourquoi ce mot est-il devenu si emblématique ? La catégorisation des populations existe depuis longtemps, pourquoi celui-là ? Nous, dans le collectif des Brouettes, on se définit comme « probo » : des prolétaires-bohèmes. Prolétaires parce que, contrairement aux bourgeois, on ne possède pas les moyens de production ; bohèmes parce qu’on n’est pas des pauvres, on a des revenus qui nous permettent de vivre normalement, et on a des attaches différentes. Si on était tous des probos, ce serait peut-être mieux, non ?
– Alain : C’est complètement l’opposé pour moi, le terme « bobos » est négatif. Ce sont des gens qu’on méprise un peu parce même s’ils se disent de gauche alors qu’ils ne le sont pas, ça se voit dans leur manière de vivre. Quand j’étais jeune, on appelait les « minets » ces jeunes qui s’habillaient autrement, et pour qui le mépris était réciproque. Pour moi, les bobos méprisent les pauvres et inversement. Donc je pense différemment de toi, le mot « bobo » est négatif.

Bernard constate qu’on assiste en direct à la perversité de ce terme. Sa particularité, que je qualifierais d’imposture, réside dans l’amalgame. Ce mot nous embarque dans une grande confusion entre ce qui est bourgeois et ce qui est bohème, et des êtres hybrides qui arriveraient à être ces deux dimensions opposées. Cette confusion qui s’infiltre dans notre tête, nous amène à penser à l’avance que ces êtres qui sont une chose et son contraire, sont des imposteurs. Des gens qui ne tiennent pas debout, qui arrivent à être deux choses contradictoires, des gens incohérents. Ce mot sans le dire nous suggère qu’il y aurait une catégorie (c’est-à-dire une manière de découper un réel très compliqué ; en sociologie, il faut rester conscient que la catégorie n’existe pas, nous l’avons construite et elle influence notre façon d’analyser le réel. Nous devons nous interroger sur l’effet que la croyance comme quoi elle existe, produit sur nous : c’est l’essentialisation).
Un journaliste américain, David Brooks, a inventé ce mot dans une soi-disant étude prétendue sociologique, pour présenter une nouvelle classe dirigeante. Dans cette construction du mot « bobo », uniquement à partir d’impressions floues, la seule précision qu’il ait apportée est que la catégorie bobo commence au-delà du double du revenu de l’américain moyen. Vous voyez tout de suite que les quelques voltigeurs dont on parlait tout à l’heure, ou ceux qui habitent au cours Julien, ne sont pas des bobos, du moins dans l’appellation initiale. Cette classe dirigeante qui s’épanouit surtout dans les secteurs de la communication ou du spectacle, va prendre en main un monde nouveau. Mais petit à petit ce mot va être réutilisé exactement dans le sens que vient de nous décrire Alain : il va servir à discréditer. Il met en œuvre la dérision en appuyant sur l’incohérence des deux dimensions opposées. Un gusse qui se la joue bohème, alors qu’il est bourgeois : quelle imposture ! Il accuse les bohèmes d’avoir des comportements de gentrification. Mais les voltigeurs, qui arrivent dans un endroit, ne sont absolument pas des bourgeois du point de vue du revenu. La plupart du temps, ce sont des intermittents du spectacle, et sont souvent au RSA, plus des petites gâches par-ci par-là, un emploi aidé dans une association : rien de vraiment bourgeois. Doit-on traduire « gentrification » par « embourgeoisement », et doit-on traduire « gentry » par « bourgeois » ? Voyez la confusion qui s’introduit à nouveau ! On peut très bien être un artiste, et donc disposer d’un très fort capital culturel, et crever de faim ! Qu’est-ce qui m’autorise à appeler « bourgeois » un crève-la-faim ?
Ce thème intervient de manière perverse en amalgamant une réalité effective. Après la première vague des « gentrificateurs », les fameux voltigeurs culturels, il y a eu une deuxième vague de gens bien plus installés qui viennent acheter et rénover des appartements. Et, derrière, arrive une troisième vague composée de bourgeois (tout court), quand ce ne sont pas des gens qui placent leur argent et développent leur rente. Rue de la République, des Parisiens ont acheté pour mettre en location sans jamais envisager de venir vivre à Marseille : là ce sont des bourgeois, mais ils n’ont rien de bohème ! Voilà un terme qui fonctionne comme un cheval de Troie, un outil de combat utilisé selon deux usages. Il y a bien entendu les vrais bourgeois, qui critiquent les gauchistes et essaient de les discréditer. Mais nous avons aussi les vieux « PC-CGT » et les anars, qui au nom de leur construction personnelle et collective et leur expérience passée, trouvent que tous ces petits jeunots qui viennent nous faire la leçon, méritent qu’on les remette à leur place. Nous avons donc deux origines du mot, ah, vous en connaissez une troisième ?

Anaïs propose aussi une troisième origine : des gens de ma génération, 20-35 ans, qui affirment être bobos et pour qui l’important, ce n’est pas de gagner sa vie mais de bien la vivre, en termes de comportements et de désirs de vie. Ceux-là revendiquent le mot « bobo ».

Claire pense à NUIT DEBOUT qui, ce soir, se déplace dans le quatorzième arrondissement de Marseille. Je pense aux personnes qui habitent dans ces quartiers populaires, et qui parlent de NUIT DEBOUT comme un « truc de bobos », dont ils n’ont rien à faire car leur situation personnelle est bien plus grave. La reprise par ceux qui sont si démunis, démunis en tout et en mots, de ce vocabulaire qui annule toute pensée critique, empêche de se relier à un mouvement naissant. Ces mots sont vraiment graves et dangereux.

Nathalie revient sur la juxtaposition de ces deux contradictions, qui nous amène à regarder cette incohérence. Ce qui me fascine dans les débats, c’est cette impression que chacun des débatteurs est cohérent. Mais qui, parmi nous, est cohérent entre ses pensées, ses discours et ses actes ? Le mot « bobo » nous oblige à regarder cette réalité intérieure, qui est aussi sociale. J’ai assisté à des débats d’aménagement urbain, où des gens de gauche, super cohérents et le cœur ouvert, trouvent quand même embêtant que des logements sociaux se construisent à côté de chez eux. De même, pour la scolarité des enfants, on a beau être de gauche et laïc … on préfère aller dans le privé. Il ne s’agit pas de stigmatiser ici une catégorie de personnes, parce que, notamment, j’en suis, j’en fais partie. Mais interrogeons-nous, avec le mot « bobo », sur nos incohérences, notre snobisme. En quoi le milieu culturel a pris en compte la diversité culturelle ? Le milieu culturel, c’est des blancs qui se ressemblent : c’est ça les bobos, ce sont aussi ceux qui vont au marché paysan du cours Julien le mercredi matin. Reconnaissons aussi le besoin humain de l’entre-soi, mais évidemment sans culpabiliser car ça nous couperait la chique ! Regardons ça quand même ! Il y a une posture à réfléchir, là, car le monde qui arrive va nous demander beaucoup d’ouverture de cœur et de coopération. Les migrants vont devenir de plus en plus nombreux : on va être confrontés à faire plus que cohabiter ensemble. Je pense que le mot « bobo » est intéressant car il m’invite à regarder les différentes parties de moi qui ne sont pas toujours en cohérence. Je trouve qu’il y a un vrai travail à faire, mais sans stigmatiser, sans condamner, sans pointer du doigt, le faire avec bienveillance. La question de l’incohérence est importante, et c’est dommage de la balayer. Les gens qui habitent dans ma rue sont de gauche pour la plupart, «  mais la mosquée qui vient de s’ouvrir à côté, qui amène des hordes de salafistes, c’est chiant ! ». Je connais des tas de gens très ouverts qui néanmoins ne vont plus au marché de la Plaine car ils ne supportent plus « des femmes voilées avec leur poussette qui vous foncent dedans pour vous provoquer ». Interrogeons tout cela. Interrogeons-nous sur nos propres attitudes, cela renforcera notre capacité à agir.

Reine veut donner une nuance complémentaire à ce que vient de dire Nathalie, en parlant des identités multiples. Se reconnaître incohérent, c’est reconnaître qu’on a des identités multiples.

Alain : on fait la confusion entre être bobo et être de gauche. Or, dans les quartiers populaires, ils ont un mépris envers ces gens qui viennent dans leur quartier, ces gens-là sont perçus comme dominants, ils viennent pour eux-mêmes, pas pour aider, c’est pourquoi ils sont rejetés. Car leurs problèmes concrets sont le chômage, le quotidien, le manque de ressources, et ne seront pas résolus par ces gens-là. La cohérence est difficile : dire que les gens un peu plus aisés vivant dans les quartiers populaires, sortent les enfants des écoles publiques. J’habite à côté du collège Versailles dans le troisième arrondissement, sous l’autoroute, je ne crois pas que je mettrai mes enfants au collège Versailles. Tant qu’il y aura des établissements abandonnés dans des quartiers difficiles, il ne faut pas se faire d’illusion et vivre les incohérences. Je me bats pour avoir des écoles de qualité dans le troisième arrondissement, et même si mes enfants sont plus grands, je comprends ceux qui se battent pour améliorer leur quartier, mais qui mettent leurs enfants dans des écoles privées. Cette incohérence est tout à fait compréhensible.

Bernard continue sur ce mot « incohérence » : je pense que le fait que nous soyons affectés d’une certaine incertitude, c’est une chose. Mais « incohérence », l’accusation est bien plus redoutable. Peut-être qu’un jour cela vaudrait le coup qu’on essaye de réfléchir aux nuances entre une incertitude, identitaire par exemple, à laquelle nous serions condamnés, et une incohérence, qui est plus radicale.

Christophe parle de naturalisation. Ce qui est remarquable, c’est que, du « projet » à la « gentrification » puis à la « boboïsation », il y a une certaine naturalisation de ces mots. Le plus remarquable encore, c’est que les identités multiples, l’incohérence, les contradictions internes, le psychisme en résumé, n’est pas uniforme : « je » est un autre. Un siècle de psychanalyse nous a enseigné que le psychisme est contradictoire. Le vertige très puissant du mot d’ordre « bourgeois-bohème » vient à être consonant avec ce que nous savons de la psyché, c’est-à-dire être traversé par des contradictions internes. C’est la force de ces mots d’ordre libéraux : ils nous donnent l’impression d’être savants sur nous-mêmes. « Je suis bobo, c’est contradictoire, et alors ? c’est naturel » : voilà la naturalisation, c’est naturel : « parce que l’homme est ainsi fait ! ». Et cette naturalisation met en abîmes la capacité que nous avons à critiquer ce qu’il y a derrière ce type de termes. Ça vient neutraliser, amoindrir, dresser un pare-feu entre l’exigence de positionnement critique et ce positionnement intime, personnel, social, qui réunifie en un seul terme « c’est bien naturel d’être bobo ». Nathalie l’a bien dit, le paradoxe de Bossuet nous anime tous, c’est partagé par nous tous. Voilà, c’est naturel, tout est bien, tout est beau, je suis bobo, et alors c’est quoi le problème ? L’aliénation subjective qui vient se conformer aux injonctions du libéralisme « c’est quoi le problème, puisque c’est naturel ».

Jean-François : l’effort de définir les mots est important. Regardez comment s’est constitué l’État français à la fin du Moyen Age, à partir d’un corpus juridique mélangeant le droit canon et le droit romain. Les traités de droit étaient précédés d’un texte indiquant comment comprendre les mots, justement pour équilibrer la part de droit canon d’avec celle de droit romain. Et l’État a continué à vivre depuis le Moyen Age !

Parmi les mots valises, l’un a été utilisé ce matin à de nombreuses reprises sans du tout être défini, c’est le « libéralisme » : que met-on dans ce mot ? Libéralisme économique ? Libéralisme social ? On voit que ça n’a pas le même sens. A nous aussi de faire cet effort de définition et d’annoncer : ce mot je l’emploie dans ce sens là !

La séance doit être levée pour rendre la salle à sa vocation initiale, sans que le débat ne soit vraiment fini ….




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