Psychanalysons Marseille (23/1/2016)

LONGCHAMP 02.2015 025-1

Les imaginaires de Marseille…

Les représentations imaginaires de Marseille ne sont pas consensuelles. Les élites valorisent la ville-monde : entre ouverture métropolitaine et sociabilité de villages. Les minots des quartiers nord slament et rappent la vie des « quartiers ». Les bourgeois des quartiers sud vantent les plaisirs nautiques et les mouillages à l’écart des plages du Prado. Les classes moyennes du centre-ville sont sensibles à la mixité et au brassage. D’autres tiennent à rappeler qu’il s’agit d’une ville populaire où « le peuple » se rencontre au détour de la Canebière ou de la Capelette… A travers la mise en avant de l’accent et des loisirs d’ici conjugués en espadrille à l’ombre des platanes, les élites aiment mobiliser l’ambiance si « populaire » de Marseille, ce qui leur permet d’accroître les inégalités en laissant croire le contraire.
Cette séance fait l’hypothèse que cette absence de consensus renvoie à des réalités urbaines fragmentées, où, à la différence des autres villes françaises, les banlieues ne sont pas en dehors mais en dedans. Et que les discours du marketing territorial, qui dans d’autres villes tendent à unifier l’image de l’urbain, provoquent ici au contraire de l’exclusion, de la ségrégation et du morcellement.
La séance s’est donné pour objectif de mettre en perspective la pluralité de ces représentations et de ces imaginaires contradictoires, qui se manifestent par des slogans : « tous ensemble » ou « fiers d’être marseillais ». Il s’agissait d’examiner la subjectivité à l’œuvre dans la construction de nos représentations de Marseille. Comment le mythe fondateur de Marseille (Protis et Gyptis) s’accommode-t-il de la négation de la figure de l’Autre dans le contexte migratoire actuel ? La Méditerranée comme argument de marketing politique et intellectuel est-elle encore porteuse d’un sens partagé ? N’est-elle pas plutôt en train de devenir un mythe perdu, une parole creuse et morte ? Pour cette fois, il s’agissait de ne pas se contenter de mobiliser des approches des sciences sociales qui tendent à évacuer la subjectivité, mais de prendre en compte l’imaginaire qui entoure cette « ville », ses légendes, ses mystères et ses stéréotypes (ville populaire, cosmopolite, ville la plus vieille de France…).
Pour cette première séance, les intervenants ont proposé une approche sensible des stratigraphies modestes et invisibles qui constituent l’esprit des lieux. Le passé, le temps et la mémoire de la ville, ses ombres et ses territoires de mystères, ses plis et ses lignes de fuite condensées dans les ombres portées des lieux, des objets et des récits… Une traversée de la ville comme sujet, aux prises avec ses fantasmes, ses dénégations et son rapport ambivalent à l’altérité….

Intervenants



Regard sur la rencontre :

Christophe Apprill introduit la séance :

Mettre Marseille sur le divan peut paraître bien ambitieux ! Plus qu’une introspection, cette séance constitue le premier jalon d’une modeste exploration. Nous sommes partis de quelque chose d’assez simple, du fait que Marseille est une ville qui fait parler d’elle, et qui parle d’elle-même. Marseille parle au travers de ses habitants, qu’ils soient là depuis peu de temps ou depuis plusieurs générations : deux types d’acteurs qui bavardent abondamment, d’eux-mêmes, de leur ville, et dans des termes parfois catastrophiques sur sa réputation sulfureuse, sur la misère des quartiers, sur des réalités sociales qu’à PLM nous connaissons bien. Qui parlent aussi de choses très fantasmatiques : la violence, les kalachnikovs, la mafia, etc. et d’autres formes de réputation ou d’imaginaires, placées sous le signe de l’hédonicité, avec le Sud, la chaleur du Sud, la chaleur des gens du Sud, la proximité de ses plages, la minéralité des calanques, la beauté de sa lumière, cette opposition entre le rose et le noir…. Nous sommes partis de cette aura qui singularise Marseille, qu’on ne retrouve pas à Lyon ou Bordeaux, et qui suscite attirance et répulsion.
Nous avons voulu confier cette exploration à deux intervenants, Florence Pazzottu, et Hendrik Sturm, qui ont, tous les deux, pris le parti d’aborder l’imaginaire de cette ville à travers un angle singulier, qui leur est cher et qui fait appel à leur subjectivité. Nous n’essayons pas d’objectiver, de rationaliser ni d’utiliser les outils des sciences sociales. Nous avons fait le choix d’amener Marseille vers le divan en invitant deux regards éminemment subjectifs.

Hendrik Sturm prend la parole :

Je suis artiste, néo-marseillais, comme la plupart d’entre vous. Je vais vous avouer quelque chose de drôle, j’ai apporté mon ordinateur ce matin pour vous projeter des images, et bien je ne me souviens plus de mon code d’entrée, ce qui pour une séance de psychanalyse, commence bien !

Télécharger les images pour suivre les propos

J’ai apporté des images, pour ce thème qui ne m’est pas familier : la psychanalyse de Marseille.
Je pensais tout d’abord vous parler de l’Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine, qui s’est produit plusieurs fois à Marseille. Vous connaissez Laurent Petit, son fondateur, qui met la ville sur le divan : mais c’est du théâtre.

Je pensais aussi la sociologie des années 1950, avec Paul-Henri et Marie-José Chombart de Lauwe, qui ont travaillé sur l’espace vécu, à Paris, où ils ont interrogé des étudiants sur leurs parcours dans la ville. Maintenant, ces questions ne se posent plus avec le GPS ! Là vous voyez les cheminements d’une jeune étudiante à la Sorbonne, et ce triangle représente ses parcours entre la maison de ses parents où elle habite, le domicile de son professeur de piano et son lieu d’études. Et l’on voit la pauvreté de son parcours.

Ceci a inspiré un groupe d’intellectuels et d’artistes autour de Guy Debord, les « situationnistes », qui ont plaidé pour une « théorie de la dérive », pour des cheminements autres, non aliénés. Ils ont forgé le concept de « psycho-géographie 1 », évoquant les réactions des usagers face à leur ville. Ils ont prôné la technique de la dérive, pour mettre en relief les attirances et les répulsions de leur ville. Ces dérives sont des déplacements sans but, pour se rendre disponible à des ambiances. Ils ont expérimenté cela à Paris, à Venise, à Amsterdam, ce qui donne matière à plusieurs cartes que vous voyez là, réunies dans « le guide psycho-géographique de Paris » qui montre de petits bouts d’une carte en relief de Paris, datant des années 1950, découpés pour pouvoir inscrire des flèches d’attraction ou de répulsion, pour mettre la ville à nu. Voici la traduction de la psycho-géographie, mais qui, à mon avis, n’est pas fait à Marseille. Pourtant nous sommes nombreux, artistes-marcheurs, à travailler avec cette notion de la « ville sensible ».

Le thème d’aujourd’hui me fait penser à un article du Monde Diplomatique – il y a quelques années –, à propos du travail d’une équipe d’éducateurs et de psychologues qui ont interrogé des adolescents et de jeunes adultes sur leurs cheminements à Bruxelles, dans un quartier plutôt pauvre, un quartier aisé et un quartier intermédiaire. Les cartes mentales dressées ont précisé leur utilisation des transports publics : on voit que des jeunes gens de centre-ville de Bruxelles ont un parcours habituel très resserré, alors que les autres ont des parcours bien plus étendus.

Quand on parle de psychanalyse, on peut revenir aux peurs. Dans son livre « le malaise dans la civilisation », en 1930, Sigmund Freud a utilisé la ville comme métaphore du développement psychique, avec la stratigraphie des différentes couches historiques superposées, pour finalement conclure que, non, on ne peut pas utiliser la ville comme métaphore, elle est impropre à la comparaison. L’appareil psychique conserve certains de ses éléments, à la différence de la ville qui les détruit.

Charmé par les mutations de Pensons le Matin, je reste mal à l’aise à parler de la psychanalyse de Marseille. Ma contribution est plutôt sur la méthode d’artiste-marcheur. Le mot méthode comprend deux unités : méta (« avec », « au-delà ») et hodos (« par la voie », « le chemin », « le sentier »). Je suis attentif aux cheminements, les miens et ceux des autres, qui sont ma matière de réflexion. Regardez comment les valeurs changent, quand on modifie le fond, quand on passe du sombre au clair.

Plusieurs concepts me guident, qui sont mes références, historiques, sociologiques, géographiques :

  • le paradigme d’indice, c’est-à-dire que j’aime lire les traces, les traces matérielles ou des traces de mémoire issues des souvenirs des personnes, quand elles s’en rappellent.
  • La sérendipité 2, concept très à la mode dans les milieux de l’art contemporain, de trouver des choses qu’on n’a pas cherchées, être attentif aux choses à côté de soi.
  • La cospatialité, c’est l’idée que plusieurs strates territoriales existent sur un même endroit, idée développée par des géographes.
  • Aussi l’idée développée par Michel de Certeau, chercheur en sciences humaines sur la rhétorique cheminatoire, qui oppose les positions ou vues d’en haut, émanant des décideurs, au vues horizontales du piéton, plus proches du sol. Ma lecture veut changer de perspective, profiter des cartes vues d’en haut et passer à une vision plus proche du sol, être dans un quotidien des villes.

J’ai apporté trois exemples de cheminements culturels à Marseille, au-delà de ceux de l’Office du Tourisme, concentrés sur le centre historique :

  • Des cheminements artistiques, avec un focus sur les quartiers nord. Voici une photo panoramique de la Viste et du bassin de Séon avec une partie du centre commercial Grand Littoral et, au fond, le quartier de Plan d’Aou, où passe d’ailleurs le GR2013 ; j’ai détouré une partie des éléments de cette photo pour servir de base à une « promenade en salle », mais hors de question de le faire ici, car il me faudrait deux à trois heures avec 110 photos pour vous faire entrer dans cette vue !
  • Un autre chantier qui me tient à cœur : la promenade a démarré par l’achat, au marché aux Puces, d’un ensemble de 250 photos, un lot qui venait d’un album de photos de famille au début du XXe siècle, entre 1930 et 1965. En regardant les protagonistes, nous avons restitué un « faux-album de photos », avec de vraies photos, qui nous a servi de base pendant deux ans et demi pour des enquêtes sur cette famille et autour de cette héroïne, Mme Zévaco. Nous avons retrouvé neuf cents pages dans les diverses archives publiques, pour comprendre l’évolution de cette famille : par leurs voitures notamment, avec les plaques d’immatriculation, les cartes grises, les assurances, les accessoires, qui nous ont permis de comprendre l’ascension de la famille. Ils étaient gérants d’un hôtel meublé à Belsunce, puis ils ont rapidement pris la gérance de deux cafés sur le quai d’Arenc, bars à filles qui proposaient des services en étage. Nous avons trouvé des photos de destruction de ces deux bars, pendant les premiers bombardements du port en 1940, et nous avons pu voir des photos de l’intérieur, rassemblées pour constituer le dossier de demande de dédommagements de guerre. Je fais référence à l’exposition de Mathieu Pernot aux Archives, « Pièces à conviction – des photographies dans les dossiers », qui s’est penché sur cette question.
    Le cadastre a permis d’identifier le lieu de ces bars sur le quai d’Arenc, le « Welcome bar » et le « Charlie’s parc », aujourd’hui disparus avec la construction de l’autoroute, depuis les années 1960. Mme Zevaco a déménagé à la Belle-de-Mai. Ces bars étaient au pied de la tour de Zaha Hadid, et c’est amusant d’imaginer la vie des filles attendant devant les bars, là où maintenant se trouve la tour, qui est toujours un lieu d’accueil des marins, orienté face à la mer, mais qui ne propose pas le même service. Même si la morphologie urbaine a changé radicalement, il y a comme une « perdurabilité » de la fonction, un génie des lieux, les lieux ne sont pas neutres, et assurent toujours une interface entre la terre et la mer.
  • Je peux vous raconter aussi une autre approche, une trouvaille : ce mur constitué de trois-cent-trente chewing-gums collés sur une barre de fer : on y trouve des inscriptions, des empreintes digitales, des ongles… C’est un contexte riche… Je l’ai trouvé sur le bunker du mémorial de la déportation à Marseille, sous le Fort Saint-Jean, devenu haut lieu culturel…

On peut démarrer de n’importe où, de n’importe quoi, d’une singularité dans un mur, pour révéler le backstage d’une ville ou d’une communauté.

En conclusion, voici une photo de la petite ceinture à Paris, sur laquelle je travaille avec un groupe d’anthropologues et architectes. Ils ont fait, la semaine dernière, une « balade en salle » sur la base de cette photo, après trois mois d’enquêtes, pour révéler les différentes strates de Paris dans ce lieu précis.
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1 Par l’intermédiaire notamment de la psycho-géographie, les situationnistes ont développé une réflexion sur la question urbaine qu’ils inscrivaient en réaction à l’urbanisme fonctionnaliste. Celui-ci est accusé d’organiser une sorte d’aliénation au service des temples de la consommation avec, en point d’orgue, l’impossible « réappropriation de l’espace urbain par l’imaginaire ». Leur projet est de refonder la ville afin de créer des ambiances inédites permettant la construction de situations, c’est-à-dire des moments de vie à la fois singuliers et éphémères.
La dérive urbaine constitue le principal outil pour appréhender « le relief psycho-géographique », c’est-à-dire le changement d’ambiance au sein de la ville, de ses quartiers et de ses rues. Ces espaces urbains que l’Internationale situationniste nomme « unités ambiances » sont les lieux, dont les caractéristiques sont homogènes. L’objectif de la dérive, qui se déroule à pied, est de localiser ces ambiances, de les évaluer et de les expliquer. À partir de ces observations récoltées sur le terrain, les « psycho-géographes » reportent et localisent ces aires d’ambiances sur des cartes.

2 La sérendipité est le fait de réaliser une découverte scientifique ou une invention technique de façon inattendue, à la suite d’un concours de circonstances fortuit et très souvent dans le cadre d’une recherche concernant un autre sujet. La sérendipité est le fait de « trouver autre chose que ce que l’on cherchait », comme Christophe Colomb cherchant la route de l’Ouest vers les Indes, et découvrant un continent inconnu des Européens. Selon la définition de Sylvie Catellin, c’est une découverte faite par le concours du hasard mais aussi de la sagacité.
En France, le concept de sérendipité adopté dans les années 1980, prend parfois un sens très large de « rôle du hasard dans les découvertes ». Sa généralisation a fait l’objet de mises en cause, le hasard intervenant toujours, par définition, dans une découverte ou une invention. On ne peut connaître que ce qui existe déjà, et le sentiment, à la vue d’une chose nouvelle se confond aisément avec la surprise d’un événement fortuit. D’un autre côté, on ne trouve jamais que ce qu’on est préparé à voir.
L’existence de la sérendipité est un argument fréquent dans le débat public pour défendre des options d’organisations interdisciplinaires contre la tendance à la spécialisation croissante des champs qui résulte de l’approfondissement des recherches.

Le débat est ouvert :

Les formes de restitution sont ambulatoires

A la question d’André « Y-a-t’il un espace où l’on peut voir votre travail et discuter avec vous ? », Hendrik Sturm répond que les formes de restitution sont ambulatoires, on se promène ensemble. Je me promène une dizaine de fois publiquement : il faut regarder les annonces dans la presse ou à la radio. Il y a aussi une forme de promenade « en salle ».
Quant aux critères pour établir ces cartes de Paris, des trajets : je vous renvoie aux textes des situationnistes, dans le livre « Théorie de la dérive », qui décrit leurs démarches précises pour se rendre disponible et réagir aux sollicitations du terrain. Pour eux, il y avait une forte attraction autour des bars et cafés.

Une exploration de l’espace par des jeunes maghrébins des quartiers nord de Marseille

Alain précise que, par rapport à l’exploration de l’espace marseillais traduit en carte mentale, un travail comparatif entre Francfort et Marseille avait été fait il y a vingt ans environ par une doctorante allemande d’Aix-Marseille-Université, le hasard est intéressant ! C’est une exploration de l’espace par des jeunes maghrébins qui habitent les quartiers nord de Marseille. L’idée était de connaître quels sont les lieux où ils se rendent, en référence avec leur type d’éducation familiale. Les résultats sont fracassants.
Référence de ce travail : chapitre 5 du livre de Cesari, J., Moreau A., Lindenmann, A. : « Plus marseillais que moi tu meurs. Migrations, identités et territoires à Marseille » – Paris, L’Harmattan.

Florence Pazzottu intervient à son tour:

Je vais, dans un premier temps, vous montrer quelque chose que j’ai réalisé, comme un petit pied de nez, avec un angle d’attaque assez politique. Ensuite je lirai le texte de présentation que j’avais rédigé lorsque Pensons Le Matin m’avait invitée pour ce matin, puis un extrait d’un texte publié par Al Dante, un éditeur marseillais, « Hymne à l’Europe Universelle (sic) », que je fais habituellement en performance avec l’artiste multimédia Giney Ayme. On a eu l’occasion de le présenter dernièrement aux Instants Vidéo, à la Cartonnerie. Voici un extrait.

La Guerre des cinq étoiles : la lecture de la Provence, parle de la guerre entre les hôtels cinq étoiles à Marseille pour garder leurs parts de marché. Et la page suivante évoque l’annonce de la fermeture du seul restaurant social de Marseille, qui donnait des repas aux plus pauvres. Cette mise en page est frappante, et tout à fait décomplexée. Hier, le journal La Marseillaise titre sur le « Monténégro : construction d’un hôtel de luxe dans un camp de concentration ».
Je vous lis mon texte – sans aucune formation en psychanalyse ou en sociologie –, qui s’intéresse aux nouages de l’imaginaire, du symbolique et du réel. Marseille est comme une focale de ce qui se passe dans notre monde.

« Si cette ville était un sujet, je m’intéresserais à la façon dont le fantasme de ceux qui la dirigent, le fantasme d’une ville propre offerte aux capitaux privés et au tourisme de luxe, s’est peu à peu substitué au mythe originel, en vertu duquel c’est en tendant la coupe à l’étranger venu de loin, d’Asie Mineure, à un grec de Phocée, qui ayant accosté dans la petite calanque du Lacydon, avec son équipage, sans doute épuisé, à bout de vivres et sûrement pas fraichement douché, fut invité par le roi des Ségobriges à pénétrer le cercle des prétendants, que la jeune Gyptis créant la surprise le jour de son mariage, décida de la fondation d’une grande cité.
J’analyserais aussi comment, prise dans ce fantasme,… est-ce vraiment le sien ? il est certain en tout cas qu’il la travaille, et la marque dans son corps, même cette ville fait difficilement face à l’abrupt du réel, réagit par le déni ou l’imposture, parfois maintient ici ou là ses fonctionnements mafieux, déclare que le problème n’est pas la pauvreté mais les pauvres, ostracise une partie de son territoire, ravale ses singularités, sa beauté, ses souffrances et les irruptions de violence qui la secouent, sur des clichés attrape-touristes ou scènes-chocs pour séries télé, refuse constamment de voir ce sur quoi achoppe la réalisation de son fantasme, justement : son peuple même, avec ses vraies richesses, son hétérogénéité, sa précarisation sans cesse aggravée par la mise en œuvre, même partielle et difficile, de ce fantasme même d’une ville sans ses habitants. Ou bien d’une ville dont les habitants ne seraient pas ce qu’ils sont, d’une ville purgée d’une partie seulement de ses habitants, cela au fond revient au même : à la fabrication d’une ville sans ses habitants. Nous verrions alors, peut-être, l’urgence de traverser le miroir, afin qu’apparaisse sous cette ville-simulacre, le plus souvent incapable d’assumer les conséquences de son réel, une dimension symbolique qui ne saurait avoir complètement disparu. Autrefois, ville de résistances, portuaire, ville d’accueil et de départ, ville-seuil, et surtout ville-ouvrière, cette ville ne peut, sans se scinder brutalement, s’identifier ni à l’image-caricature que les télévisions présentent d’elle, ni à la vitrine pour touristes riches que certains aimeraient qu’elle devienne.
Quand on dresse une ville contre les plus fragiles, contre les Roms, contre les étrangers, contre les immigrés les plus récemment arrivés, contre elle-même donc, car son réel est son peuple, la seule chance, pour qu’elle se remette à espérer, est qu’elle réinvente une façon d’habiter le territoire qui laisse sa part à un éloge de l’errance. Que la population réinvestisse les lieux publics, les espaces publics, exige des bancs, des arbres, des agoras, des rives ouvertes, des lieux de discussion vraie, où se discutent des idées, où se débattent des opinions, et affirme, bien loin de cette tarte à la crème qu’est le multiculturalisme qui s’accommode très bien de la pire des politiques répressives et ségrégationnistes, un universel s’inventant ici, où l’on habite, vit, respire, agit ensemble … car nous sommes tous des migrants ».

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Le débat est ouvert :

Une anecdote bien croustillante

Claude fait partie du collectif des Brouettes de la Belle de Mai. Nous avons envie de faire en sorte que ce quartier soit digne du nom qu’il porte et de son histoire. Vous avez évoqué la maire de secteur, qui a privatisé le seul espace vert du quartier, où sont nés beaucoup de Marseillais : la maternité de la Belle de Mai, entourée de beaucoup d’arbres. La maire de secteur l’a privatisée en acceptant de la vendre à un promoteur pour en faire un village vacances, avec la complicité de la Mairie centrale. La Belle de Mai est un quartier de 15 000 habitants, sans bibliothèque, sans école, sans espaces verts, et celui de la Friche ne remplacera jamais l’ombre des arbres de ce parc. 165 chambres d’une certaine gamme, un parc privé avec une piscine chauffée, cette vente est justifiée par, paraît-il, son lien avec l’éducation populaire : prétexte ! Notre colère est légitime.
A propos de mots contradictoires, je vais vous raconter une anecdote bien croustillante, venant de mon voisin, retraité, qui me dit : « vous voyez ce bistrot (en parlant d’un maghrébin qui fait, d’ailleurs, un très bon couscous à la sardine), vous voyez, quand Francis le Belge s’asseyait au bar de la Poste et disait « le premier qui touche à un cheveu de quelqu’un de la Belle de Mai, je le tue », eh bien ! Francis le Belge savait tenir ses clients, alors que celui-là, là-bas, il ne saura pas tenir ses clients ». Voilà une histoire lourde de la psychanalyse de Marseille, qu’on peut engager malgré l’absence d’un arbre à palabres.

Le tropisme de la Méditerranée

Christophe apporte une précision.
Lors de la préparation de cette séance, nous avons beaucoup débattu sur le tropisme de la Méditerranée, notion utilisée à toutes les sauces à Marseille dans des thèmes, des acronymes : « Marseille, porte de la Méditerranée », Euroméditerranée, Villa Méditerranée, le thème des Rencontres d’Averroès « sous le signe de la Méditerranée ». C’est un marqueur du Sud, l’exotisme pour les gens du Nord, aussi le passé colonial de Marseille et de la France, avec ces réalités sociales fortes et ces ségrégations socio-spatiales qu’on a vues, à travers l’école notamment. Ceci renvoie aussi à cette culpabilité des Français, des Marseillais, par rapport à ces vagues successives d’immigration et à leur traitement sur place dans la ville. Comment vous, Florence et Hendrik, percevez-vous ce tropisme de la Méditerranée ?

La Méditerranée pose la question du littoral et de la frontière

Florence Pazzottu s’est intéressée à l’histoire de Marseille, ville bien plus méditerranéenne que française, et souvent en conflit avec le pouvoir central.
Je me suis passionnée pour l’histoire de l’Hôtel-Dieu, lieu de la résistance historique et qu’on a vendu à Axa. On est dans un tel dévoiement des mots, une telle imposture, et c’est pour cela que j’y suis sensible, les gens qui se servent du mot « Méditerranée » en essayant d’en changer la figure, ne s’y intéressent pas du tout. Je suis d’origine italienne, mes grands-parents vivaient à la Belle de Mai et ont subi les formes de racisme que l’on voit aujourd’hui. J’ai assisté tout au long de ma vie aux vagues, non pas d’immigration mais aux vagues de racisme successives. On voit plus les choses par leur rejet. Ce qu’on entend aujourd’hui est frappant et immonde : « au moins avant, il y avait des valeurs, c’était la mafia mais il y avait des valeurs, on savait se tenir » sorte de pensée pré-fascisante avec des pouvoirs forts. Il faut affirmer qu’un autre monde est possible.
La Méditerranée c’est aussi la question du littoral, pas sur le seul plan géologique. Je propose qu’on transforme toutes les frontières en littoral, qu’on repense l’articulation, ce qu’est un littoral, l’articulation d’un dedans et d’un dehors. J’invite à ce qu’on repense le fait que nous sommes tous des migrants. La part d’errance est ce qui nous constitue, ontologiquement, philosophiquement, politiquement. La Méditerranée permet cette articulation entre le dedans et le dehors. Tout comme essaye de le faire ma poésie, qui articule parfois même de façon abrupte, des choses triviales avec du concept et de l’idée, d’un monde de tous les jours.

Faire l’expérience du nomadisme et regarder l’image renvoyée

Hendrik Sturm approuve sur le fait que nous sommes tous des migrants.
La mer nous invite au voyage, facilite l’idée de la mobilité. C’est ce qui sous-tend mon approche du cheminement. Je n’utilise pas le mot « errance » mais plutôt une « libre circulation » des plaisirs et de recherche de la connaissance, qui se rapproche du voyage touristique. Quand on quitte les cheminements fonctionnels et qu’on prend le temps de se poser, on crée une communauté avec d’autres gens qui ne sont pas dans le parcours fonctionnel. Faire l’expérience d’ « errance » (je cherche un autre mot car celui-là ne me convient pas, il donne l’impression d’être perdu et ce n’est pas l’idée que j’ai en tête), prête à équivoque. Je me rappelle avoir fait partie d’un groupe de marcheurs à l’intérieur d’une résidence fermée à Bonneveine ; les résidents étaient étonnés de notre groupe et pensaient que nous nous étions des touristes égarés (pas comme des migrants ou des roms, mais comme des touristes). Quand on est en groupe, on ne peut être que touristes ; quand on est seul, ou deux, ou trois, là l’image renvoyée est trouble, ambiguë : soit des personnes œuvrant autour d’un projet, d’architecture ou cartographe, soit comme un rôdeur, soit les deux. On peut façonner les projections de l’autre. Dans le mot « errance » il y a cette ambiguïté entre l’aménageur et touriste/migrant. On marche mieux sur la terre que sur la mer (!).

Jouons à un petit jeu … ?

Alain reste sur sa faim en matière de psychanalyse de Marseille… et fait une proposition : « dans la mesure où il y a beaucoup de néo-marseillais ici, l’intéressant serait de connaître ce qui les a le plus surpris, depuis qu’ils vivent à Marseille, et quelles sortes de différence ils voient avec la ville où le pays d’où ils viennent ? On pourrait jouer à ce petit jeu, ça pourrait nous faire avancer. »

S’interroger sur le nom des institutions

Quelqu’un s’interroge sur la façon dont les institutions ont choisi leur dénomination. Toulon a choisi d’appeler sa communauté d’agglomération « Toulon Provence Méditerranée », là où Marseille avait choisi d’appeler la sienne « Marseille Provence Métropole », Aix-en-Provence avait choisi « Communauté du pays d’Aix ». On ouvre la métropole, et c’est Marseille qui s’insère entre Aix et Provence « métropole Aix-Marseille-Provence » : est-ce que cela veut dire quelque chose, de ne pas avoir la référence Méditerranée ?
Juste pour la référence : ceux qui ont cherché le nom, l’ont tiré d’un article de Robert Castel dans les Cahiers du Sud, en 1927, qui s’intitulait « Marseille Provence Métropole ». On peut aussi s’interroger sur la question des tirets : il n’y a pas de tirets dans « Marseille Provence Métropole », puisque ce n’est pas un tire-bouchon. « Métropole Aix-Marseille-Provence » a des tirets, mais ceux qui ont conçu le titre n’y ont certainement pas pensé, ils avaient d’autres préoccupations !

« On rend Marseille à tous les Marseillais »…

Florence Pazzottu émet juste une remarque : Marseille tourne de plus en plus le dos à la mer, contrairement à ce qui est dit.
Elle s’ouvre effectivement aux beaux paysages, son « capital naturel » comme on dit maintenant, son capital touristique plutôt ! qui vantent la vue, les plages, etc. Mais les propos qu’on entend et qu’on lit, depuis un certain temps, sont contradictoires, évoquant le besoin d’une « transfusion d’hommes du nord », de même sur la toute nouvelle conception de la mixité en centre-ville qui veut attirer des gens actifs et consommateurs dans l’hyper-centre. Marseille semble avoir honte de ces étrangers qu’elle est allée chercher, qui ne sont plus du tout étrangers d’ailleurs, alors qu’elle voudrait aujourd’hui devenir un nouveau Nice, ou un nouveau Cannes, ce qu’elle ne peut pas être. Si Marseille devait se priver de tous ses pauvres, dont je suis, bien qu’étant blanche, il ne resterait plus grand monde, quand même ! L’imaginaire de cette ville, parce qu’elle se détourne de son symbolique, se heurte au réel de son peuple : au lieu de voir ce qu’on peut faire avec ceux qui sont ici, et faire de vraies consultations publiques avec des vraies discussions sur la gestion des espaces et équipements publics, on a au contraire des diminutions d’horaires d’ouverture des bibliothèques ou de piscines, au mépris de l’avis des usagers, donc de la démocratie. La plupart du temps, on ne sait même plus ce que sont ces bâtiments, et on est très loin d’une vision d’une ville avec ses habitants.
J’observe qu’on laisse pourrir le triangle de la Canebière, et que c’est voulu, pour ensuite mener une certaine politique, illustrée par ce grand mur sur les Feuillants : « on rend Marseille à tous les Marseillais ». Comme disait une femme interviewée dans le film de Nicolas Burlaud « La guerre est finie » … Ah, non, quel lapsus, c’est en fait « La fête est finie », pardon quel lapsus, nous sommes bien en psychanalyse ! où elle dit à une autre qui va devoir partir « mais enfin madame, il faut de la place pour tout le monde ». Eh bien oui, il faut de la place pour les riches, ce qui reste assez incroyable de réussir à culpabiliser un peuple miséreux et le convaincre de laisser la place pour le tourisme de luxe ! Donc la publicité « on rend Marseille à tous les marseillais » propose une brasserie, un hôtel et un centre de soins (le centre de soins, c’est un spa !). Et parallèlement, il s’agit d’obtenir l’assentiment des petites classes moyennes contre les gens qui dorment dehors, en n’ouvrant pas de centre d’accueil et en privant les associations de moyens, pour faire monter leur colère et arriver en vainqueur avec le discours « vous voyez bien qu’il faut nettoyer » ! « On va donner une nouvelle figure » avec un regroupement culturel des Bernardines et du Gymnase ; le lycée Thiers, lycée de l’élite marseillaise ; et un futur cinéma qui « diffuse de tout, pour tous les publics, à la fois du grand public et de l’extrême avant-garde, comme Woody Allen » !! Ce qui sous-tend une conception de la culture qui va écraser les Variétés et le Vidéodrome. Cette logique recherche la stupeur et l’assentiment des populations qui vivent là, qui sont prises en étau, et qui finissent par dire « vous voyez bien qu’on n’avait pas le choix ».

Auparavant cette ville ouvrait les espoirs, maintenant elle les ferme

Stéphane revient à Albert Londres, quand celui-ci parle de Marseille dans les années 1930, c’est magnifique, c’est superbe.
Et pour toute personne qui navigue, quand on arrive du large et qu’on voit ce phare du Planier, on est obligé de se référer à cette image de recherche de la liberté. Comme le disait aussi Jean Viard, on savait qu’on allait avoir une place, quand on arrivait à Belsunce. Cette ville accueillait, permettait de rebondir et ouvrait des espoirs. Aujourd’hui elle les ferme. Je pense à deux phénomènes récents qui montrent une ville pleine de contradictions et qui se ferme : après la première soirée des Rencontres d’Averroès, le préfet avait, dès le lendemain, fermé ces rencontres d’Averroès parlant de la Méditerranée, au nom des attentats de Paris ; par contre, les santons étaient malgré tout inaugurés par le maire le même jour, et le cirque à côté du MUCEM fonctionnait. La Méditerranée se passe à Barcelone, en Sardaigne, en Sicile, mais pas à Marseille. Je suis habitant du quartier, et si on parle contradictions, je fais partie de ces classes moyennes un peu bourges, installées dans ce quartier, car mon centre de vie était à la Friche, au Gyptis, à KLAP, maison de la danse. On a mis des points, des balises, des équipements, mais il n’y a que très peu de jonction avec les gens du quartier. La Méditerranée est dans le sens des échanges, ici on œuvre plutôt à des déplacements de population.

Une logique de destruction des petits lieux

Florence Pazzottu précise que c’est une logique, ce n’est pas une contradiction. Il y a une logique de destruction de certaines formes de pensée, de destruction des arts marginaux, de destruction des petits lieux pour renforcer les grands : cette logique, il est impératif de la décrypter, de la comprendre pour la contrer.

J’aime ces petits commerces et ces endroits où on se parle

Françoise répond à la question de ce qu’on ressent quand on arrive du dehors.
Je suis à Marseille depuis sept ans, et je vois les actions de pourrissement. Je parle des barrières autour du terrain où va se construire l’Artplexe, devant la mairie du 1er / 7ème arrondissements. Mais le quartier vit, il est transversal à la Canebière, et les gens de différents groupes sociaux se parlent, c’est d’ailleurs la même chose sur la Plaine : comment préserver ces dimensions conviviales ? Ce que j’aime aussi sur Marseille, ce sont ces petits commerces, dont les gérants ont établi un lien avec la population, et qui sont menacés par la prolifération des Monoprix ou commerces bio franchisés.

Les frontières invisibles, et l’acceptation de l’injustice

Nathalie raconte ce qu’elle a ressenti à son arrivée à Marseille il y a douze ans, et s’étonne encore de la remise en question de sa conception de la géographie objective.
Entre ma ville d’origine, Rouen, et Marseille j’ai senti un écart plus grand qu’entre Ouagadougou et Marseille, physiquement, dans les codes. La notion de différences culturelles provenant de la distance volait en éclats. Ce qui a contribué à me sentir très étrangère dans cette ville, et j’en étais presque complexée les deux premières années. L’autre chose réside dans les frontières invisibles. J’ai plutôt fréquenté les milieux artistiques et culturels, j’ai fait venir des artistes venant de tous pays. Et en discutant avec eux je me suis rendu compte combien cette ville est remplie de frontières invisibles, qu’on vit au quotidien. J’habite la Plaine, et mes voisins me parlent de frontières avec le quartier voisin (celui de Notre-Dame du Mont). Je suis parti à la recherche de toutes ces frontières invisibles, qui sont très nombreuses. Et au fond, la fracture nord-sud n’est qu’un exemple de vision exacerbée de ça.
Une autre chose qui m’a beaucoup frappée ici, c’est le silence, l’omerta. Tout le monde ici ferme sa gueule, y compris les milieux dans lesquels j’ai été. Je vais vous donner un exemple : souvent les milieux bobos ou artistico-culturels peuvent être un endroit où on s’exprime, on revendique, on porte une parole. A Rouen, je faisais partie du comité d’experts du Ministère de la Culture qui attribuait des subventions aux compagnies, et un jour une compagnie de danse s’est aperçu qu’on n’avait pas fait les choses dans les règles, que personne n’avait été voir leur spectacle en question, mais la compagnie n’avait pas été subventionnée. Ils sont allés vérifier les règles, et ils se sont immédiatement mobilisés. Nos noms avaient même été écrits sur les murs de Rouen et, en dix jours, ils ont eu le jackpot des subventions, car ils se sont bougés. Ce qui m’a frappé et qui continue de me frapper ici, quand Villa Vauzella a été construite, personne n’a contesté. En Normandie le réflexe était de faire venir la presse, le Canard Enchaîné, il y avait mobilisation du milieu artistique et culturel que je n’ai pas du tout retrouvée ici.
Enfin, pour finir, c’est la question du rapport à la parole. A Rouen on dit que « les normands, c’est p’t-être ben qu’oui, p’t-être ben qu’non ». Mais quand un élu normand finit, après des années de négociations, par dire oui sur quelque chose, c’est coulé dans le marbre, la parole est sacrée. A Marseille, je suis allée voir la Ville pour demander 25 000 Euros pour faire venir Pina Bausch, on m’a dit « Nathalie, ce sera plutôt 50 000 Euros » et j’ai eu zéro. C’est intéressant de voir ce rapport à la parole, qui continue de me frapper.

Cette impression que l’autre n’existe pas…

Gilles raconte qu’il est marseillais depuis un an seulement :
Je ne comprends pas grand-chose ici. Je suis Lyonnais d’origine, et j’ai vécu à Calais et Dunkerque, j’ai donc des références nordiques. Ce qui m’étonne le plus, c’est la solitude. Pas la mienne, car si j’ai quitté des villes moyennes, j’apprécie encore le silence et la liberté que me donne une grande ville. Je veux parler plutôt du sentiment de solitude qu’on n’arrête pas de croiser dans les rues, c’est-à-dire de cette impression que l’autre n’existe pas. Ce qui m’étonne le plus c’est l’absence de vivre-ensemble et de politique, c’est-à-dire penser et agir collectivement, par rapport à quelque chose qui nous dépasse, et avec des personnages qui peuvent les porter, dans le temps. Il y a certes de la déconstruction politique, de la négation, avec les mythes comme vous en avez bien parlé. Je ressens la négation du vivre-ensemble et les frontières partout. Je ne sais pas les dénommer, elles sont invisibles, c’est étonnant pour moi. Je ne discerne pas les liens et la toile d’araignée entre les différents mouvements, associations, structures, institutions, je ne sais pas s’il y en a. Se construire à Marseille est très difficile. La difficulté pour un non marseillais est de tendre une toile de manière solitaire, car il n’y a pas de lieux collectifs pour tendre les toiles à plusieurs. Cette absence de politique des quartiers est folle. La métropole, c’est une boutade ici, il n’y a aucun projet commun. J’ai connu Lille avec Mauroy, les projets dépassaient les seules limites communales.

On accepte un consensus insupportable et on n’arrive pas à comprendre comment on l’accepte

Christian apprécie cette immense complexité qui rend la synthèse difficile.
J’aime bien les articles de Michel Samson qui savait tirer les enseignements de cette diversité. Je voudrais parler de la dimension historique : depuis Louis XIV, cette ville s’est toujours construite en opposition à son environnement, la Provence, Paris, tout ce que nous avons vécu lors des années de dénigrement : les marseillais s’unifiaient contre. Depuis très longtemps l’attitude est de fermeture et de fierté. De fermeture sur quoi ? Les affrontements terribles aux XIXe et XXe siècles, lors de la construction du capitalisme marseillais. On est passé à une période de consensus flou, avec des mouvements de révolte de loin en loin, de pacification forcée, un unanimisme pour protéger les intérêts des uns et la sécurité des autres (face aux nouvelles immigrations). On est dans un consensus insupportable, où la grande richesse des uns est protégée et l’odieuse pauvreté des autres est maintenue. J’ai l’impression qu’on se satisfait de cela, car on a trop peur des débordements, on accepte un contexte insupportable et on n’arrive pas à comprendre comment on l’accepte.

Réinventer la politique, avec des figures collectives protéiformes

Florence Pazzottu pense que ce débat devient protéiforme voire contradictoire.
Plutôt qu’en faire la synthèse, il s’agit de dégager une vision, une ligne qui nous permettrait de se projeter dans l’avenir. Curieusement je me suis toujours sentie étrangère ici, mais toujours libre de l’être. Je suis née ici, mais je suis partie et revenue. Je me suis sentie bien plus ici, quand je suis revenue qu’avant, parfois il faut trouver la distance avec les objets d’amour. Je comprends tout à fait ce ressenti très violent face aux incivilités, cette sensation d’être seul, et pourtant, pour l’avoir éprouvé, je sais que la richesse de Marseille c’est son peuple, qui parfois invente des manières de vivre-ensemble qui désarçonnent toutes les politiques publiques. Il faudrait accepter aujourd’hui de réinventer le politique, réinventer le concept lui-même de politique. Les choses se passent ici, pourquoi chercher des grandes figures politiques pour les porter ? Pourquoi on n’inventerait pas ensemble des manières de faire, sans grandes figures ? Pourquoi ne serions-nous pas des figures collectives, protéiformes, dans lesquelles se passent des choses ? Est-ce que la politique ce n’est pas défendre pour la bataille de l’Hôtel-Dieu, l’association Un Centre-Ville Pour Tous qui agit, cette ville a un Réseau d’Éducation Sans Frontières extraordinaire avec des gens qui le portent, etc. Et quand on revisite un territoire en s’y promenant, on les raconte autrement. Il faut revenir aujourd’hui à du pré-politique, exactement comme Luc Joulé et Sébastien Jousse le fondent dans leur magnifique film « C’est quoi ce travail ? » où on assiste à des émergences de parole de figures ouvrières extraordinaires, là où les gens disent « il est où, le syndicalisme ? ».
Aujourd’hui il faut accepter de se débarrasser de tout ce qui est devenu. Évidemment les luttes syndicales ou les partis ont été extrêmement importants, mais on voit bien aujourd’hui que ce jeu est piégé, peut-être faut-il repenser les syndicats et les partis, une autre conception du politique, et ça ne peut commencer que dans des lieux d’exception. On ne veut pas le faire à la manière qui nous est proposée aujourd’hui sous le nom de politique, qui n’est qu’une forme de négation de parole, où on nous demande une fois de temps en temps de mettre un bout de papier dans une urne, et que le reste du temps votre désaccord sur la transformation d’un parc public en hôtel de luxe n’est pas entendu, ou quand les concertations sont des séances de pédagogie où on nous explique comment il faut être d’accord. Si on veut réinventer tout ça, il faut accepter d’en discuter et de penser notre ville comme point de focalisation, comme point de départ. Cette toile qui permettrait de tisser les associations et les lieux ne se fait pas, car il n’y a pas encore la vision claire de la nécessité de le faire. Chacun est encore trop dans ses positions frileuses, en se disant « malgré tout … et puis ce serait tellement pire … regardez ces affreux là-bas … finalement malgré tout, discutons avec le pouvoir en place parce qu’il y a toujours des gens avec qui discuter » mais bien sûr il y a toujours un chargé de mission avec qui on peut discuter, heureusement, il y en a beaucoup. La question est d’aller discuter avec eux en pointant les dysfonctionnements et en leur disant « aidez-nous à inventer quelque chose qui fonctionne ». Souvent, ces agents porteurs d’une politique qu’ils n’ont pas choisie, sont aussi malheureux que nous !

Le décalage entre discours et réalité

Alain est strasbourgeois d’origine et, depuis dix ans, alterne entre un travail à Paris et le week-end à Marseille.
Je reviens sur les mots. Je vis depuis dix ans sur la Canebière, et je suis frappé du décalage entre le discours politique (la maire qui parle de « refaire un Broadway ») et la réalité. Et que depuis dix ans ce décalage revient toujours ; de même à propos de la rue de la République, alors qu’on ne parle jamais de la réalité. J’ai vu évoluer Strasbourg, j’ai vu évolué Lille, j’y ai toujours vu une connexion forte entre le projet annoncé et les choses qui avancent. A Marseille, ce n’est pas cela, le décalage continue d’exister, et on ne sait pas très bien comment ça va se recoller…

Si on part des gens d’en bas….

Christophe s’interroge.
En évoquant son travail avec les archivistes et les documentalistes, Hendrik part d’un point focal sur la ville, ou bien des photos acquises au marché aux Puces. Si on change de point de vue, si on part des gens d’en bas, comment éclairer ce qui est dit des imaginaires de cette ville ? Il faudrait nous en dire un peu plus sur les trajectoires et les parcours de vie des personnes de ces photographies, ce qu’elles racontent sur l’urbanité, sur la ville, le rapport à l’espace, à l’espace physique, social public ?

Les mêmes stratégies d’invisibilité

Hendrik répond que c’est une question de visibilité et d’invisibilité.
Je pense à cette histoire du bar sur le quai d’Arenc, qui projette aussi des films pornographiques. Le gérant a eu maille à partir avec la justice pour outrage aux mœurs. Un dossier figure aux Archives, nous révèle une sociabilité à la marge. L’enquête est très bien faite, et détaille les informations sur la production de ces films, comment les producteurs font des annonces pour rechercher des comédiens, pour trouver des studios, des projectionnistes, des rabatteurs ou des chauffeurs de taxi, puis pour trouver des bars qui projettent ces films. On se rend compte d’un vrai territoire professionnel. Le producteur vivait dans une villa à Bonneveine, qui n’a pas bougé depuis soixante ans. Le studio d’enregistrement était situé avenue Cantini ; le boucher qui assurait la promotion était de Saint-Marcel ; le projectionniste travaillait la journée pour l’Education Nationale et assurait la projection le soir ; les bars, qui diffusaient les films dans leur arrière-salle, étaient sur le quartier du port ou bien sur la Plaine. La famille, quant à elle, avait son lieu de villégiature sur la Côte Bleue. Cet étalement montre bien les liens invisibles.
Pour parler de mon aperçu en arrivant à Marseille il y a vingt ans : j’étais frappé par la différence entre l’espace privé et l’espace public. J’habitais à la Valentine, et je travaillais aux Camoins : j’étais étonné par le contraste entre les beaux jardins soignés des villas et l’interface des façades sur la rue, ce qu’elles donnaient à voir de poubelles, de négligé, de désaffecté. Aujourd’hui, depuis vingt ans que je suis à Marseille je réalise que je suis devenu pareil, j’adopte les mêmes stratégies pour me protéger, pour trouver un peu de tranquillité.

Une ville de contrastes, qui attire et qui rebute

Philippe D vit depuis quarante-deux ans à Marseille, et se déclare toujours un migrant.
J’ai travaillé sur l’environnement puis dans la politique de la ville, j’ai une formation d’urbaniste-architecte. En arrivant à Marseille, j’ai parcouru la ville dans tous les sens. Je découvrais une ville très contrastée, avec des morceaux de campagnes et des morceaux de grands ensembles, continuellement en opposition. Un ami urbaniste néerlandais, venu à Marseille, car il ne pouvait emmener ses étudiants en dehors de l’Europe, me disait que « Marseille est la ville au développement type tiers-monde la plus proche d’Amsterdam ». C’était une façon intéressante d’appréhender Marseille !
J’ai habité pendant vingt-six ans à Malmousque, et j’ai assisté à la transformation de ce petit quartier très privilégié en bord de mer. En 2001, quand le TGV est arrivé, j’ai vendu cette maison et suis parti habiter à l’Estaque, un autre petit coin privilégié et protégé. J’ai vu la différence entre le centre-ville et la périphérie. Marseille est la troisième ville de France en superficie, on dit qu’elle contient son centre et ses banlieues. On dit aussi qu’elle est une ville aux cent-dix villages, car plein de choses forment frontière entre ces cent-dix villages, constitués eux-mêmes autour des paroisses. A la fin du XIXe siècle, les communes avoisinantes se sont regroupées pour bénéficier du développement et des services de la grande ville. D’où sa superficie, créée par adjonction de communes. Quand je suis arrivé, j’ai découvert qu’il existait un plan de l’aire métropolitaine marseillaise que les élus refusaient parce qu’établi par l’État. Quelques années après, on parle de la métropole, et la même chose se reproduit : plus personne ne veut s’allier à Marseille, et l’État doit forcer les élus à faire la métropole.

Une façon très répandue d’être marseillais

Michel quant à lui se déclare être un immigré du nord, même si son immigration date depuis plus de trente ans.
Je voulais dire deux choses :
– Quand on me demandait si je me sentais marseillais, pendant longtemps je répondais que je me sentais étranger à cette ville. Jusqu’au jour, après dix-sept ans, un flash, personnel, m’a fait réaliser que se sentir étranger à Marseille est une façon très répandue d’être marseillais. Depuis je suis marseillais, ce n’est plus une question.
– Depuis vingt-cinq ans j’habite Noailles et je suis particulièrement sensible à l’imaginaire qui se projette et se diffuse sur ce petit territoire exactement au cœur de la métropole. Je suis frappé par le décalage entre cet imaginaire et la réalité de ce quartier. C’est un territoire d’observation particulièrement intéressant sur les thèmes évoqués aujourd’hui.

La question est complexe

Christian T tient à intervenir.
Je suis l’un des quatre fondateurs de l’école du paysage de Marseille, reliée à Versailles et menacée de fermeture, et j’ai vu que des pétitions circulaient. Ce n’est pas de cela que je voulais vous parler, encore que.
Le sujet de cette séance est d’une ambition folle et d’une immense complexité. Je suis d’accord avec la problématique d’un déficit d’approche historique, et la nécessité d’une mise en perspective un peu cohérente en termes de temps et d’espace. On est dans le sillage et l’héritage immédiats de l’industrialisation, du fordisme et de la constitution des États-nations. Or Marseille est en France, la France est dans Marseille ; Marseille est en Provence, la Provence est dans Marseille ; Marseille est en Méditerranée, la Méditerranée est dans Marseille ; tout ça est extrêmement complexe. Marseille est un port, c’est-à-dire le monde ; c’est aussi un havre où on reconstitue sa force vitale pour repartir à l’assaut des territoires lointains et des grands projets. Marseille, c’est le lointain et le proche, comme tous les ports. La France est un très vieil État-nation, préexistant à l’industrialisation et se constituant au XIXe siècle avec un empire État colonial. Elle a instrumentalisé la puissance et l’énergie marseillaise. Il y a eu convergence entre l’État colonisateur et la grande bourgeoisie locale pour confiner l’énergie marseillaise autour de l’Empire colonial, qui s’est ensuite effondré. Je voulais juste dire qu’il existe énormément de travaux d’historiens et de sociologues qui expliquent très bien tous ces phénomènes au XXe siècle : Samson et Peraldi, des géo-historiens comme Roncayolo dans « la grammaire de Marseille », aussi la thèse de Pierre-Paul Zalio sur la sociohistoire du patronat familial français et les grandes familles de Marseille 3. Hendrik a parlé de son étonnement entre le grand luxe des jardins et la pauvreté des façades. Ici, dans ces réseaux où discutent artistes, intellectuels et techniciens de la maîtrise d’ouvrage publique, et même s’ils sont précaires, je pense qu’il y aurait grand intérêt à lire tous ces travaux. Je peux citer aussi l’ouvrage, quoique contesté, d’Alessi Del Umbria : « l’Histoire universelle de Marseille ». Quelqu’un a parlé de la difficulté de faire une synthèse, il faut savoir que Marseille, c’est le Sud. Tout le Sud est colonisé. La Provence est une Italie avortée, c’est le pays des villes, alors que la France est le pays des châteaux. La gouvernance française est tout à fait autre que la gouvernance méditerranéenne, c’est ce qui explique les contradictions du politique.
Tout cela est encadré par les pouvoirs sociaux, sociétaux, les normes et règlements. Des amis historiens de la MMSH m’ont raconté qu’ils ont été interdits de pratiquer de l’histoire régionale, lorsqu’ils sont rentrés au CNRS ou à l’Université (Jean-Marie Guillon, Régis Bertrand). La France est un pays particulièrement déterritorialisé. Le mot territoire a été prononcé, ce rapport entre proximité et horizon, entre migrance et errance. Dans un contexte de mondialisation et de financiarisation, des grands hôtels, des grands bateaux, du tourisme de masse, la question est complexe. Pour mieux structurer le débat, il aurait fallu incorporer des savoirs existants, même s’ils sont trop cloisonnés, pour qu’une synthèse puisse en être petit à petit ébauchée.

Demander aux algorithmes de nous montrer, et la route, et le paysage

Pierre-Alain ajoute un élément non évoqué, la question des usages au travers du numérique.
Quand on parle de symbolisme, d’imaginaire et de réel, on doit citer aussi les algorithmes qui nous construisent aujourd’hui. Le livre de Dominique Cardon « A quoi rêvent les algorithmes »4 est très significatif sur ce point, et je ne résisterai pas à vous lire la conclusion :
« Les médias ont longtemps été pour nous des gyrophares, et nous prenaient par la main pour nous mener tout en haut de la montagne. Là, depuis la table d’orientation, ils nous désignaient les éléments notoires du paysage, le sacro-saint panorama. Placée au centre de la société, la table d’orientation organisait l’attention collective, afin que tous prêtant attention aux mêmes motifs, partagent le sentiment de faire société commune.
Avec internet, l’orientation de notre attention est libérée, au motif que chacun, depuis son propre véhicule, peut se déplacer librement dans un univers proliférant d’informations. Contre le paternalisme de la table d’orientation et son panorama obligé, chacun peut organiser son voyage sans avoir à suivre la direction prescrite par un guide, fut-il de haute montagne. La conquête de cette liberté est sans pareil, elle déboussole et fait perdre du temps et prendre des risques. Elle ouvre à chacun le droit d’errer, de se tromper et de s’émerveiller. Pourtant, perdu parmi les mille et un choix possibles, il a fallu trouver d’autres manières de se repérer et de s’organiser. Les calculateurs ont apporté une solution originale et audacieuse à cette désorientation. Ils constituent un moyen efficace pour trier l’abondance d’informations disponibles et pour guider l’utilisation vers ses propres choix. Comme le GPS dans un véhicule, les algorithmes se sont glissés silencieusement dans nos vies, ils ne nous imposent pas la destination, ils ne choisissent pas ce qui nous intéressent, nous leur donnons la destination et ils nous demandent de suivre LEUR route. La conduite sous GPS s’est si fortement inscrite dans les pratiques des conducteurs que ceux-ci ont parfois perdu toute idée de la carte, des manières de la lire, de la diversité de ces chemins de traverse, et des joies de l’égarement. Les algorithmes nous ont libérés du voyage de groupe, des points de vue obligés et des arrêts obligatoires devant les panoramas à souvenirs. Ils procèdent d’un désir d’autonomie et de liberté, mais ils contribuent aussi à assujettir l’internaute à cette route calculée, efficace, automatique. Ils s’adaptent à nos désirs en se réglant secrètement sur le trafic des autres. Avec la carte nous avons perdu le paysage, le chemin que nous suivons est le meilleur pour nous. Mais nous ne savons plus identifier ce qu’il représente par rapport aux autres trajets possibles, aux routes alternatives et peu empruntées, à la manière dont la carte compose un ensemble. Nous n’allons pas revenir aux voyages de groupe et à leur guide omniscient, en revanche nous allons nous méfier du guidage automatique. Nous pouvons le comprendre, et soumettre ceux qui le conçoivent à une critique vigilante. Il faut demander aux algorithmes de nous montrer, et la route, et le paysage. »

Et la question se pose aujourd’hui de nos usages quotidiens : avec nos téléphones portables on induit énormément de choses. La question des algorithmes devient un sujet politique.

3 « Pierre-Paul Zalio – Grandes familles marseillaises au XXe siècle. Enquête sur l’identité économique d’un territoire portuaire, Belin, 1999 »

4 « A quoi rêvent les algorithmes » de Dominique Cardon, Edition du Seuil, la république des idées, octobre 2015.
A l’heure du big data, nos représentations du monde se réduisent à celle du quantifiable. Les algorithmes deviennent alors les outils d’une société de calculs qui trace nos actions et vise à « conduire nos conduites ». C’est ce monde et ses dangers que décrypte avec précision cet ouvrage. Un monde où les valeurs cardinales deviennent la popularité (le nombre de clics), l’autorité (à quel rang je sors dans un moteur de recherche), la réputation (les « gloriomètres », comme disait le sociologue Gabriel Tarde) et la prédiction de nos comportements, en fonction des traces qu’on laisse sur Internet.
Les algorithmes ne cherchent pas à expliquer la société qu’ils façonnent. Ils se contentent de mesurer des corrélations et de nous dire que ce qui nous plaît aujourd’hui, nous plaira demain. Une société du conformisme confortable qui propose de diriger nos vies en pilotage automatique, en nous faisant oublier que d’autres trajectoires et d’autres choix sont toujours possibles.
Loin d’être de simples outils techniques, les algorithmes véhiculent un projet politique. Comprendre leur logique, les valeurs et le type de société qu’ils promeuvent, c’est donner aux internautes les moyens de reprendre du pouvoir dans la société des calculs.




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