Marseille : un territoire de violences d’insécurité hors norme ? (7/2/2015)

ARTDERUE 042

Marseille se distingue par l’ampleur des inégalités sociales et culturelles. Mais est-ce le cas pour les violences ? La violence de la relégation sociale et spatiale des Quartiers Nord et Est explique-t-elle les formes particulières d’incivilités et les dérives d’une partie de la jeunesse dans l’économie informelle ? Les différentes formes de violence d’aujourd’hui sont-elles réellement supérieures à celles d’antan ? En quoi sont-elles légitimes auprès de leurs propres acteurs et leurs réseaux ? En ce moment de réflexion qui suit les odieux assassinats de Charlie et du supermarché casher de la Porte de Vincennes à Paris, que faire au-delà de la réponse sécuritaire ? Sur quels leviers agir pour réduire les fractures sociales, culturelles et la ségrégation ethnique ? »



Intervenants


  • Laurent MUCCHIELLI, sociologue, auteur de « Sociologie de la délinquance » (2014, Armand Colin), et de « Délinquance et criminalité à Marseille : fantasmes et réalités », 2013, Paris, Fondation Jean-Jaurès, coll. « Les Essais »). Ancien directeur du CESDIP (Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales), Laurent Mucchielli crée début 2011 un nouveau programme de travail ainsi qu’une structure baptisée « Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux » (ORDCS).
  • Avec la participation de Claire DUPORT, sociologue, chargée de recherches à Transversité, professeure associée à Aix-Marseille Université : Duport C.(2012). Trafics de drogues : un bilan des recherches et quelques expériences à Marseille. Études et travaux de l’ORDCS, n°4 « .

Regard sur la rencontre :

Laurent Mucchielli :

On m’a demandé de modifier le thème de cette séance pour inciter notre assemblée à réfléchir aux conséquences des attentats contre Charlie Hebdo de janvier dernier, drame à propos duquel j’ai été déçu qu’il n’y ait pas eu de débats de fond jusqu’ici. J’ai d’ailleurs écrit à ce sujet un texte sur mon blog le 23 janvier dernier : Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Le thème d’aujourd’hui entre dans ces réflexions, sur la ségrégation, l’immigration, l’islam. Si vous en êtes d’accord, je vous propose qu’on l’élargisse à des considérations de société plus diversifiées que celle de la seule inquiétude sécuritaire ?

Dans ce texte, j’avais posé quatre séries de questions :

  1. Sur la façon dont l’État nous protège (ou pas) des menaces terroristes
  2. Sur la façon dont les médias nous informent (ou pas) de la « réalité »
  3. Sur le conflit latent que la société française entretient avec (ce qu’elle appelle) ses « minorités » et plus particulièrement l’islam
  4. Sur les processus de « ghettoïsation » qui détruisent les liens sociaux et sociétaux.

1 – Sur la façon dont l’État nous protège des menaces terroristes
Une première question, présente dans le débat public, est celle des « failles » de l’action policière. La question essentielle qui se pose n’est pas celle du manque de moyens, mais des choix de priorité qui sont faits dans l’emploi des moyens. Or, cette question n’est étrangement jamais posée. Si elle l’était, elle amènerait à débattre de la définition même de notre sécurité, des objectifs fondamentaux assignés aux forces de l’ordre et des stratégies mises en œuvre pour atteindre ces objectifs. Au passage, elle amènerait à mettre en question la domination croissante, depuis une quinzaine d’années, d’un courant de pensée politico-technocratique qui considère que le terrain peut être déserté, que la police de proximité est une perte de temps et que le renseignement humain de proximité peut être utilement remplacé par des moyens technologiques tels que des ordinateurs recherchant des mots-clefs dans des millions de courriels ou des drones survolant nos immeubles. C’est une erreur, car il s’avère que la surveillance et le renseignement de proximité sont pérennes dans le temps, et constituent la base du travail du policier. Regardez l’affaire Dieudonné : face à la LDH, la police répond qu’elle ne peut intervenir car il n’y a pas délit ; maintenant on l’arrête, fort des attentats de janvier.

Une seconde question est encore moins posée dans le débat public, celle de l’emploi des forces armées. L’immense majorité d’entre nous n’a jamais connu la guerre et vit comme si celle-ci n’existait pas. Or l’État français fait la guerre en notre nom, ce qui ne fait l’objet d’aucun débat public. Tout ceci pose pourtant de multiples questions sur le sens et la légitimité de ces guerres, sur les effets de ces guerres et enfin sur les coûts de ces guerres. Ces fameux grands adolescents « paumés », candidats au djihad qui préoccupent tant les pouvoirs publics depuis quelques années, sont d’autant plus nombreux et naïfs que nul ne leur a jamais véritablement expliqué le pourquoi et le comment des guerres que mène l’État français en leur nom, en notre nom.

Une troisième et dernière question sur ce thème est celle de la réaction de nos dirigeants politiques. Il semble qu’une majorité de la classe politique française est consciente des risques de dérive comme aux USA après le 11 septembre 2001. Toutefois, le fait de marteler sur tous les tons que la France est « en guerre contre le terrorisme » rappelle qu’une logique militaire est en permanence à l’œuvre, logique qui menace par conséquent à tout moment le respect de nos droits et de nos valeurs.
Rappelons simplement que l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, autrement dit notre sécurité, ne dépend pas fondamentalement de notre arsenal juridique. La lutte contre le terrorisme et notre sécurité dépendent bien plutôt de la qualité des actions de surveillance, de prévention et de réaction des institutions policières et judiciaires. Au mirage technologique déjà évoqué s’ajoute ici le mirage juridique. Or l’essentiel est ailleurs. La même chose vaut, du reste, sur un autre registre pour la question des polices municipales, que certains croient rendre plus fortes en les sur-armant, comme pour mieux masquer l’absence d’un débat de fond sur leur doctrine d’emploi.

2. Sur la façon dont les médias nous informent (ou pas) de la « réalité »
Plus que jamais, nous sommes dominés par la télévision-spectacle et les journalistes pris dans une course ultra-concurrentielle à l’image sensationnelle que nul ne maîtrise. Une seconde révolution réside dans l’apparition de la télévision numérique et des chaînes dites « d’information continue ». Ces dernières dominent de plus en plus le paysage médiatique, imposant leurs rythmes, leurs formats, leurs façons de travailler et, derrière, une conception qui peut sembler passablement dangereuse de « l’information ». A la tyrannie de l’image, s’ajoute en effet la tyrannie de l’instantanéité, la tyrannie du « direct ». Le tout repose sur le mythe d’une « réalité » ou d’une « vérité » qui ne demanderait qu’à être regardée pour être comprise. Le reste de la société, et surtout les catégories populaires, n’ont, eux, jamais la parole, alors même que l’on parle d’eux en permanence, le plus souvent pour les dénigrer ou sonder leurs intentions dont on a peur par avance.
J’étais invité à discuter avec un élu politique lors des campagnes municipales, son bureau était envahi par BFMTV en permanence ; idem pour le rédacteur en chef d’un grand media local. C’est frappant ce modèle d’immédiateté qui imprègne notamment le monde des décideurs, et qui donne le la. Et ce spectacle télévisuel et compassionnel ne nous « informe » pas fondamentalement. Quel genre de « décérébrage » s’opère tout au long de ces quelque quatre heures de télévision que nos concitoyens consomment en moyenne quotidiennement ? Quelle naïveté, quelle candeur, quelle ignorance fabrique-t-on à longueur de journée ? N’est-il pas au contraire urgent de mieux comprendre le monde qui nous entoure ? Les journalistes n’ont-ils pas un rôle crucial à jouer, non pas dans « l’information », puisque ce terme a été dévoyé, mais dans l’éducation de la population ?

3. Sur le conflit latent que la société française entretient avec (ce qu’elle appelle) ses « minorités »
Il est frappant et inquiétant d’observer les réactions émotionnelles que soulève la « question de l’islam » dans le débat public, les non-sens et les sottises que ces émotions amènent à proférer. Ceci est vrai de certains musulmans qui ne voient la totalité du monde et de la vie qu’à travers cette religion, ou ce qu’ils croient savoir de cette religion. Et ceci est tout aussi vrai d’islamophobes qui font un commerce politique de la peur, quand ce n’est pas un commerce tout court, par le biais de ventes de livres notamment. Les uns, comme les autres, ont des audiences et des capacités de nuisances redoutables, qui amènent les commentateurs intervenant dans le débat public à s’interroger sur le point de savoir si l’islam est une religion plus violente qu’une autre, et à demander à tous les musulmans d’exprimer leur rejet du terrorisme. Comment sortir de cette tendance à tomber dans le « c’était mieux avant » nostalgique ?
La France n’a toujours pas réglé les conséquences, non pas simplement de son passé colonial, mais plus largement d’une société s’étant économiquement développée par le recours aussi massif qu’impensé à l’immigration. Le résultat de notre histoire est que la société française – comme beaucoup d’autres dans le monde – est désormais une société totalement multiraciale et en partie multiculturelle. C’est le point de départ de notre véritable modernité. Le simple fait de parler de « minorités » ou de « minorités visibles » est un symptôme de notre incapacité à prendre acte de cette modernité et à regarder vers l’avenir. Pour construire une société à partir de ce que nous sommes aujourd’hui, il faut sortir d’une posture réactive et défensive pour adopter une posture résolument constructive et fabriquer de la citoyenneté commune, de la cohésion sociale, de l’identité collective. Arrêtons de créer des conflits sur l’apparence (l’habillement) alors que l’essentiel est ailleurs, dans les valeurs (la mixité garçons/filles, les programmes, l’égalité des droits et des devoirs, etc.). En France, la religion fait partie de la vie de beaucoup de gens : construisons avec.

Nous devons aujourd’hui construire la modernité française avec l’islam, et non contre. C’est dans cette dynamique qu’il trouvera sa juste place, que se construira véritablement un islam de France. Les mécanismes de stigmatisation et de contre-stigmatisation sont un classique de la sociologie de la déviance. Un humoriste, Coluche, le résumait bien dans un sketch célèbre : « La société ne veut pas de nous, qu’elle se rassure ! On ne veut pas d’elle ». Il faut stopper ce cercle vicieux qui ne produit au mieux que des replis sur soi dans l’immense majorité des cas, au pire, et chez les plus fragiles, des théories du complot et des désirs de vengeance, facilitant ainsi la propagande et le recrutement des entreprises terroristes.

4. Sur les processus de « ghettoïsation » qui détruisent les liens sociaux et sociétaux
Les processus de ghettoïsation qui détruisent les liens sociaux et sociétaux ne cessent de s’aggraver en France. Nous sommes des milliers de chercheurs mais aussi de professionnels, observant de diverses manières les quartiers pauvres, à tirer des sonnettes d’alarme depuis les années 1980. Pour résumer rapidement les choses, redisons donc à nouveau de fortes évidences.
Les milliards d’euros engloutis dans la rénovation urbaine, sous couvert de « politique de la ville », ont certes amélioré le cadre de vie global des habitants, mais ils n’ont impacté aucun des facteurs centraux de la ghettoïsation : l’accès à la santé (surtout pour les enfants, pour ne pas créer des problèmes en série), l’échec scolaire (au brevet des collèges, des collèges montrent un taux de réussite de 90% tandis que d’autres sont à 45%, c’est un écart de 1 à 2 !), le chômage des jeunes âgés de 16 à 25 ans (entre le quartier de la Rose et celui de la Fourragère, le taux de chômage passe de 50% à 66% ; or, le travail donne deux éléments fondamentaux : le revenu, et le logement et l’insertion sociale qui vont avec, et aussi l’identité sociale, soit participer au même monde que les autres, qui sert de rempart aux violences et aux suicides : priver de cette identité fabrique à nouveau des problèmes en série), les économies parallèles devenues des systèmes de survie qui entraînent ainsi dans la carrière délinquante une partie de ces jeunes se sentant déjà exclus et sans avenir. C’est au regard de l’idéal d’une société offrant à chacun un minimum de place et d’existence sociales dignes qu’il faut juger les discours et les actions de nos gouvernants. On n’a pas tout essayé contre le chômage, notre modèle économique l’inclut comme une variable « normale » : revendiquer que l’économie produise du travail comme un bien commun, résoudrait ce problème mortifère.

Pour conclure, insistons sur la dimension politique de la ghettoïsation et des problèmes que nous affrontons. La violence naît de l’impossibilité d’exprimer autrement le conflit, elle est le dernier langage du conflit. La démocratie est une table autour de laquelle chacun doit pouvoir s’asseoir et dire à un moment son point de vue sur le sujet en débat, avant que l’on procède au vote. Certains parleront toujours mieux que d’autres, certains auront toujours plus de poids économique, social ou symbolique que d’autres, mais chacun doit pouvoir s’y exprimer et son point de vue être entendu. Aujourd’hui, en 2015, les quartiers populaires ne sont pas assis à la table de la démocratie française. Les habitants des quartiers populaires ne sont plus représentés par aucune force politique conventionnelle si ce n’est, pour certains d’entre eux, par le Front national. Mais la population française dite « d’origine immigrée » (jusqu’à quand lui rappellera-t-on son origine ? combien faut-il de générations pour être un Français tout court ?) ne peut évidemment pas exprimer un vote protestataire par le biais d’un parti dont la xénophobie est le principal fonds de commerce. Reste alors l’abstention.
Comment sortir de cette situation ? En comprenant, chacun depuis sa place et ses moyens d’action, qu’il est plus qu’urgent de redonner la parole à toute une partie de la population qui en est privée, d’accepter non seulement qu’elle s’exprime mais encore plus qu’elle participe aux décisions. En termes politiques, cela signifie qu’elle retrouve un minimum de pouvoir face à celles et ceux qui aujourd’hui l’accaparent et passent leur temps à parler au nom des autres, pour mieux imposer à chacun leurs opinions et leurs intérêts particuliers.

Claire Duport :

Je rejoins ce qui est dit en citant Bourdieu quand il annonçait que « les pauvres n’ont que deux alternatives : se taire ou être parlés ».
Quant à moi, j’aimerais vous parler des réseaux de trafics de drogue à l’échelle de la rue. Quatre idées sont couramment répandues :

1- L’idée que le trafic de drogue serait une spécialité des mondes populaires, en particulier des jeunes des cités. Or toutes les études, notamment de l’OFDT l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, montrent que les produits, tous les produits (ceux que l’on appelle doux comme ceux que l’on qualifie de durs, les chers comme les bon marché, ceux qui se fument, s’avalent ou s’injectent) transgressent toutes les frontières sociales, ethniques, territoriales et générationnelles. Et donc si les produits sont partout, c’est que les consommateurs comme les dealers sont partout aussi : chez les pauvres et chez les riches, chez les jeunes et chez les vieux, chez les blancs et chez les noirs, dans les cités et dans les quartiers bourgeois, en ville et à la campagne.
De surcroit, le traitement des affaires judiciaires montre que les réseaux et trafics de drogues sont loin d’être l’apanage (et encore moins l’exclusivité) des jeunes des cités, voire au contraire, à savoir que les trafics les plus lucratifs, et dès lors souvent les plus violents, sont ceux qui concernent les produits les plus « durs », et/ou qui visent une clientèle économiquement plus aisée que celle des « cités », trafics rarement organisés par des jeunes moins expérimentés.

2- L’idée que le deal relève d’un choix consenti, voire d’un choix de carrière dans la délinquance. En réalité, les trafics de drogues constituent une manière d’accéder à des ressources économiques, lorsque les moyens légaux sont rares et limités. En ce sens, pour l’immense majorité de ceux qui en sont les acteurs, les trafics de drogues constituent des économies de la pauvreté, voire des stratégies de survie.

3- L’idée qu’il s’agirait d’argent facile : Il est plus juste de parler de « capitalisme de parias », notamment par l’ampleur des risques encourus par les dealers :

  • des risques de menace et de coercition, notamment du fait que beaucoup sont engagés dans les réseaux pour rembourser des dettes. Dettes souvent en lien avec leur capacité à dépenser très vite l’argent gagné. Ces dettes sont aussi parfois liées à la consommation.
  • des risques d’exposition à la violence physique au sein même des réseaux, mais aussi pour l’entourage familial des dealers,
  • des risques d’interpellation et de condamnation, avec leurs conséquences sur une hypothétique insertion sociale « légale », mais aussi leurs conséquences économiques pour les familles,
  • des risques sur la santé mentale, liés à la perception que les plus jeunes ont de leur vie et leur avenir ; mais aussi liés à leurs propres consommations de drogues.

C’est aussi pourquoi ces jeunes flambent, ils savent que leur vie dans le trafic s’arrêtera tôt ! De surcroit, les gains sont bien moins importants que nous le disent les données policières lors des saisies, difficiles à interpréter et trop exceptionnelles. Les travaux des économistes (notamment Christian Ben Lakhdar en France) montrent qu’un revendeur de cannabis au détail gagne moins du SMIC mensuel, à raison de dix à quatorze heures de travail par jour, sous des menaces et des violences.
On est là dans un modèle d’économie de marché ultralibérale qui n’hésite pas à exploiter les plus pauvres, les plus fragiles aux postes les plus exposés : des jeunes, voire de très jeunes adolescents, des mères isolées, plus généralement des personnes qui ne bénéficient pas de la protection d’un ainé ou d’un père qui sera craint ou respecté.

Mais en face de ces risques, il y a aussi des bénéfices :

  • Des bénéfices financiers qui viennent pallier des situations de fragilité, de précarité ou de pauvreté ;
  • des bénéfices relationnels pour des personnes en besoin de reconnaissance et d’insertion ;
  • des bénéfices culturels pour ceux dont le quartier et la rue sont des espaces de socialisation.

4 – L’idée de la désocialisation des dealers ou d’une socialisation qui ne serait que par les mondes criminels : il y a très peu de dealers au détail qui n’ont que ce moyen de revenus ou que cette activité, aucun qui ne soit socialisé que dans le monde du trafic (ils ont une famille, des voisins, des copains d’école, des amis, etc.) ; et à travers le deal même, ils côtoient des mondes sociaux bien plus divers que la plupart d’entre nous (notamment parce que leurs clients sont souvent issus des classes moyennes et aisées) ; ce qui témoigne de compétences relationnelles rares.

Ce que l’on peut souligner de manière générale :

  • d’abord que les problèmes de violences, délinquance, trafic et criminalité sont des phénomènes qui ne sont pas plus importants dans les cités que dans le reste de la ville (mais, qu’en revanche, ils sont très concentrés dans quelques cités repérées, et surtout très médiatisés)
  • ensuite, qu’ils sont plus le fait d’une infime minorité de personnes (le plus souvent des hommes jeunes, ce qui est vrai aussi partout ailleurs)
  • et que, a contrario, c’est l’immense majorité des habitants des cités qui ne posent aucun problème de délinquance ou de violence et qui en revanche sont les premiers à en subir les conséquences au quotidien.

Références biblio :

Le débat est ouvert :

Quartiers stigmatisés mais problèmes oubliés

Je préfère le terme « ségrégation » plutôt que celui de « ghetto » qui mélange les connotations. Les ghettos de riches repoussent les populations vers l’extérieur. Le problème actuel de certains quartiers difficiles, c’est que depuis le changement de la géographie prioritaire qui ne les prend plus en compte, ils sont oubliés, alors que les problèmes demeurent. Je suis d’accord avec votre affirmation comme quoi l’islam est stigmatisé. Dans le 3ème arrondissement, les comoriens sont stigmatisés. N’est-ce pas plutôt une façon de manipuler les gens que de les stigmatiser ? La démocratie ne devrait-elle pas avoir comme but le service public de même qualité adapté à chacun ?

Le mépris ancien de l’occident envers les cultures arabes

Philippe Foulquié évoque le mépris ancien de l’occident envers les cultures arabes, souvent infériorisées. La langue est un facteur de dignité, or il arrive qu’on ait du mépris pour cette culture : je rappelle que la Criée a refusé de produire une œuvre, parce qu’elle était en langue arabe.

MP2013 : un simulacre ?

Christophe Apprill cite Gilles Kepel à propos du sentiment religieux devenu prioritaire, qui relègue au second plan la question sociale : un exemple avec l’affaire du voile. Pour illustrer cette démocratie qui exclut une partie de la population de la table, rappelons-nous de Marseille Provence Capitale de la Culture 2013, qui a fait l’éloge des grands rassemblements festifs : on nous a fait croire à une nouvelle démocratie, avec de grands rassemblements « populaires », mais qui ne débouchent sur aucune délibération, aucune action, aucune décision. Est-ce un simulacre ?

Quelques interrogations…

  • Monique Beltrane parle de l’arabe comme une langue négligée de l’enseignement. On ne peut plus enthousiasmer ceux qui ont d’abord besoin d’être intégrés.
    Et le ghetto ne commence-t-il pas à la distribution « communautaire » d’appartements sociaux, par ethnie, selon des politiques de peuplement inavouées, ou lorsque les appartements sont demandés pour les parents ou la famille. Il faudrait demander quelque chose en échange, mais quelque chose d’utile à tout le monde.
  • Nathalie Marteau souhaite interroger Claire Duport sur l’argent de la drogue ? Dans les années 1990, il y a eu un changement radical dans le développement des trafics de drogue, avec une masse d’argent autrement plus importante. Où va cet argent aujourd’hui ? Comment est-il blanchi ? Je relève un article de Philippe Langevin, qui parlait de la drogue comme favorisant une politique souterraine d’urbanisme, une économie parallèle ?
  • Bettine, enseignante au lycée Nord, évoque l’interdiction faite aux enfants arabes de parler leur langue à l’école. Or comment s’épanouir quand on refoule sa propre langue. Aujourd’hui le français écrit et parlé se dégrade : mais, quand on atteint la langue d’origine, on atteint aussi la langue d’accueil.

auxquelles répond Claire Duport :

  • Ceux que je côtoie ne parlent pas l’arabe, ce sont des arrière-petits-fils d’immigrés.
  • L’accès aux emplois qualifiés se dégrade. Aujourd’hui les diplômés travaillent au MacDo.
  • Il y a une grande diversification des usages de la drogue. Les chiffres parlent de treize millions d’usagers du cannabis pour deux millions d’usagers de la cocaïne : ça a changé l’économie de la drogue.
  • Les narcotrafiquants ne sont pas dans les cités. Quelques-uns gagnent entre 12 000 € à 15 000 € par mois, mais ils le flambent aussitôt pour soulager les tensions, car ils savent qu’ils vont mourir. Comment accepter que nos enfants tiennent pour acquis qu’ils mourront jeunes ?
  • Ils n’ont pas de réseaux de blanchiment, ils flambent l’argent.
  • C’est une économie qui arrange tout le monde : l’Union Européenne vient de demander d’intégrer dans le PIB (Produit Intérieur Brut) le montant estimé des économies informelles (travail au noir, prostitution, drogue) ! On commence à reconnaître que la légalisation de la drogue rapporterait des recettes à l’Etat qui couvriraient largement les frais de prévention, de surveillance et de soins.

puis Laurent Mucchielli :

  • Je vous conseille d’organiser un prochain débat sur le sujet de la drogue ! Le niveau d’information des citoyens est ridiculement faible sur ces sujets, nous sommes sous-informés. C’est une forme de politique de l’autruche, puisque c’est interdit, on n’en parle pas et tout va bien ! A propos de réglementation du marché de la drogue, je vous incite à lire l’ouvrage de Roberto SAVIANO « Extra pure : Voyage dans l’économie de la cocaïne ».
  • A propos de la langue arabe, je suis d’accord avec vous, la langue française à l’école a été incapable de s’appuyer sur les langues maternelles, c’est un présupposé bien-pensant de l’Education nationale. L’école est une usine de fabrication du citoyen en série à partir de « pâtes molles ». Le mythe de la production de l’égalité est ravageur, c’est la même chose pour le breton sous la 3ème République ou le créole dans les Départements d’Outre-Mer. La culture française est mono-identitaire, alors que chaque individu peut avoir plusieurs facettes à la fois. Le mythe de la cohésion sociale, qui consiste à vouloir rendre tout le monde pareil, est destructeur de l’individu et du social, car le rapport à l’autre, différent de moi, est structurant.
  • Quant à l’islam, mes propos relèvent d’un constat pragmatique. L’islam est devenu un marqueur identitaire collectif. L’inclure dans les politiques reviendrait à lui permettre de se « laïciser » et de devenir un choix plus personnel et intime.

L’incohérence des politiques publiques

Patrick Lacoste déclare que depuis les années 1980, la société française continue de refuser son caractère multiculturel. A Marseille, les pouvoirs publics ont organisé la fabrique de l’exclusion. Quand j’ai découvert que les enfants de l’école primaire du Merlan 1 (Ouest) étaient de couleur blanche, alors que ceux de l’école Merlan 2 (sud Busserine) étaient principalement arabes, j’en ai conclu que la différenciation était forcément organisée, et depuis plusieurs années ! On peut également évoquer les politiques de peuplement des bailleurs sociaux, tellement opposées aux pratiques des pays anglophones qui considèrent comme normal que les immigrés se regroupent : quand la Logirem organise des cités ethniques, avec un bloc de comoriens, un bloc de maghrébins, un bloc de … à la Savine, ce ne peut pas ne pas avoir de conséquences ! A ce propos la thèse de Valérie Salapala est intéressante :
« Discriminations ethniques. Les politiques du logement social en France et au Royaume-Uni ». Elle étudie le racisme dans les processus d’attribution des logements sociaux par les organismes HLM, en France à Marseille et au Royaume-Uni à Birmingham.
Les politiques de démolition de l’ANRU ont effectivement éparpillé les ethnies, mais tant de millions pour démolir des logements, alors qu’on en manque, quel gâchis ! Dans la Provence, il y a dix jours, un article relatait « la Castellane : casser les tours pour casser les trafics » : voilà comment on légitime de détruire quatre-vingt-dix logements : c’est le degré zéro de la pensée politique.

L’ incohérence des politiques publiques ..

Philippe Dieudonné précise que les logements sociaux sont différents. Ceux, anciens, en copropriété, sont très dégradés. C’est le problème explosif des copropriétés de plus de cent logements, dont certaines sont dans un état de délabrement et d’impéritie. Les solutions dépendant des volontés politiques.
La question religieuse des jours de vacances issus du calendrier chrétien, est présente dans tout notre quotidien. Paradoxalement les prières de rue sont aujourd’hui perçues comme un scandale. De même, la loi sur le voile voulait s’inscrire dans une forme d’opposition à la domination de l’homme sur la femme, or aucune législation n’est produite sur les violences conjugales…

La question du voile ..

Claude Renard souhaite distinguer « assimilation » et « intégration ». La question du voile à l’école est devenue complexe à cause de deux filles victimes de l’intégrisme de leur père, en septembre 2003.
Et Ophélie de poursuivre en posant la question des jeunes femmes dans les réseaux, dans les quartiers populaires ?

La laïcité ?

Pierre-Alain Cardona évoque le mythe du citoyen uni-identitaire : la laïcité en France rend le sujet difficile. Le problème est souvent intériorisé. Les mots peuvent être mal perçus. Notre rapport à la religion juive est également complexe. Comment traiter politiquement ces sujets ?

Questions..

Félix Blanc cherche à savoir quels rapports existent entre les trafics et le terrorisme ? Michel Peraldi en avait parlé. Existent-ils des études sur le financement des filières djihadistes ? Comment réagir à l’implantation du centre de vidéo-surveillance rue Salengro il y a deux ans ? Que faire d’autre ?

il n’y a pas de soutien ..

Yasin Yuksel affirme que les parents turcs n’éduquent plus leurs enfants. Chez les Turcs, avoir un collègue de travail français est devenu une honte. Plus personne ne vient nous voir. Ma mère a mis trente ans pour apprendre la langue. L’échec scolaire amène à consommer de la drogue, et de là à en vendre, il n’y a pas loin… Il n’y a pas de soutien. Il faudrait faire quelque chose au niveau de l’éducation.

La Castellane

Kader Attia précise que la Castellane (1250 logements) n’est plus un ghetto, c’est un parcage social : 60% de chômeurs, 80% de bénéficiaires du RMI, 45% des élèves en échec scolaire, le bus est arrêté à 21h. Qui s’est occupé de l’encadrement social des familles ? Les dealers. Les opérations « coup de poing » ne servent à rien. Le deal de drogue se développe car les services publics manquent (sport, centre social, école, bus). Avant les dealers, c’étaient les témoins de Jéhovah, les évangélistes, qui aidaient. Aussi des pseudo-imams. Aussi des intégristes, qui ont envahi des structures anciennes que les communistes ont abandonné (clubs sportifs, centres sociaux). Les réseaux de drogue concernent 30 à 40 personnes sur les 6000 habitants. Ah, oui, je voulais préciser que tous les maghrébins ne sont pas musulmans ! Ce sont les réseaux mafieux qui ont pourri la société par absence des services publics permettant l’emploi. Regardez les gardiens de sécurité ou les caissières : tous noirs ou arabes. La cité est trop condensée. Les logements sociaux qui ont été refusés, restent-ils vides ?

La violence est liée aux préjugés et à l’école

Pierre Diatta raconte que la violence est liée aux préjugés et à l’école. Il est difficile d’avoir une fierté de ses propres origines quand la société française fait peur. Mais on peut relever des points positifs : l’équipe de France de football est principalement composée de noirs.
Moi, je me sens bien ancré dans la société française, car je sais d’où je viens. Mais je comprends qu’il est difficile de s’intégrer dans une société avec des représentations négatives. L’école ne permet pas d’émerger et de s’épanouir, car elle ne valorise pas les dimensions qui ne lui ressemblent pas.

Claire Duport répond :

  • Les femmes sont peu présentes dans les réseaux, elles ne le sont que sous la menace, ou dans le cadre d’une dette.
  • Comme initiatives citoyennes face aux trafics de drogue, vous avez le dispositif « trafic/acteurs/territoire ».
  • Concernant le lien entre terrorisme et prison : la prison est un lieu d’initiative à la criminalité et à la violence. Les Baumettes sont une administration pénitentiaire très prudente, et vigilante face à l’endoctrinement terroriste.

Et Laurent Mucchielli conclut :

Les politiques publiques posent deux grands problèmes :

  • d’une part leur attirance pour le mirage technologique difficile à évaluer. La vidéo-surveillance contribue à aider à résoudre quelques affaires, mais surtout le dispositif sert à autre chose que le seul traitement de la délinquance. Il est détourné. Il représente un gaspillage d’argent public. Il faut plutôt mettre des agents sur le terrain. On a les moyens : la rénovation urbaine engagée fin 2003 avec la loi Borloo a su trouver des moyens conséquents.
  • L’incapacité actuelle des politiques à distinguer les causes des conséquences. On a tendance à traiter les symptômes. C’est d’ailleurs la même chose pour l’échec scolaire. Ne vaudrait-il pas mieux intervenir sur les causes, même si le bénéfice ne sera visible qu’après dix ans ? Le besoin d’immédiateté des politiques publiques pervertit le sens de l’action. C’est une gestion à court terme des urgences, qui évite les projections. Il faut ramener le débat dessus.



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