Lille 2004, une manifestation qui ne s’évanouit pas dans l’éphémère… (24/9/2011)

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Invitée de Pensons le Matin, Chantal Lamarre a présenté le travail qu’elle mène au sein de Culture Commune, une scène nationale, pour le moins atypique, implantée sur le Bassin Minier du Pas-de-Calais. Elle s’est plus particulièrement focalisée sur « Les Rendez-vous Cavaliers », un projet qui fut initié dans le cadre de Lille 2004, Capitale européenne de la Culture.



Compte rendu de séance


« Il faut du temps pour créer des événements, pour transformer un territoire, pour rencontrer une population, pour impulser des liens véritables et durables, pour créer une manifestation qui ne s’évanouit pas dans l’éphémère »,

cette citation extraite du journal de Culture Commune résume à merveille la philosophie de Chantal Lamarre. Association intercommunale de développement artistique et culturel, Culture Commune est née en 1990.

« Dès la genèse du projet, l’enjeu majeur concernait la transformation et la réhabilitation d’un territoire de 650 000 habitants, profondément sinistré, touché de plein fouet par la fermeture des mines »,

explique Chantal Lamarre. Les répercussions de cette crise étaient à la fois urbaines, sociales, économiques, écologiques et, bien sûr, culturelles… Avec la disparition de la mine, un pan entier de l’histoire collective s’effaçait, entraînant par là-même un délitement des solidarités.

Culture Commune essaime sur tout le territoire de l’ex-bassin minier du Pas-de-Calais. Cependant, la scène nationale a, depuis 1998, un point d’ancrage et ce dans un site hautement symbolique de la réhabilitation et de la revalorisation du patrimoine minier : le 11/19 à Loos-en-Gohelle. Cette base, symbole, jusqu’en 1986, de l’activité minière, est devenue depuis un pôle culturel. C’est dans l’ancien vestiaire des mineurs que Culture commune a construit une Fabrique Théâtrale. Cet espace est mis à la disposition des artistes qui, en toute saison, y écrivent, montent, peaufinent leurs spectacles.

« Nous avons gardé les traces de la mine et en même temps adapté le site à ses missions de laboratoire artistique ».

Si la Fabrique se transforme parfois en lieu de diffusion de spectacles, elle est d’abord un lieu de vie, de recherche, d’expérimentation, de création artistique et de rencontres conviviales et enrichissantes entre des artistes et des habitants d’ici et d’ailleurs.

Rappelons que Lille 2004 concernait l’ensemble de la métropole. Culture Commune, travaillant sur trente communes du Bassin Minier et sur trois communautés d’agglomérations (Lens-Liévin, Artois Comm, Hénin-Carvin), a pu aisément s’inscrire dans le projet de la capitale européenne de la culture. Chantal Lamarre a profité de cette opportunité pour poursuivre et amplifier sa démarche de transformation du territoire par la culture. Elle a initié des « Rendez-vous Cavaliers »,  une recherche action

« alliant l’expérience de la création artistique contemporaine au plaisir de la randonnée, l’intérêt de la découverte du patrimoine à l’importance de la transmission de la mémoire ».

Cette initiative avait aussi, bien évidemment, vocation à créer du lien entre les habitants du territoire :

« Toute une population qui se met en mouvement guidée par un projet commun ».



Les chemins de la revalorisation

Qu’est-ce que les cavaliers ? Ils représentent les traces, à fois physiques et symboliques, du passé minier du Pas-de-Calais. Les cavaliers correspondent aux anciens chemins de fer de l’industrie houillère. Ces voies constituaient un réseau ferroviaire très dense. Mais, au fur et  à mesure de la fermeture des mines, les tracés ont été laissés à l’abandon et la nature a repris ses droits. Ces espaces de déshérence étaient donc la marque du déclin de la région. Ils signalaient également par défaut le retard pris par les collectivités dans l’aménagement du territoire.

Comment transformer les représentations négatives en opportunité de développement ? Ces voies, en se revégétalisant, sont devenues des corridors écologiques, garants de la préservation de la biodiversité. Transformés en espace dédié à la randonnée, ces chemins relient désormais les villes et les quartiers du Bassin Minier. Intégrés dans le projet de « Trame verte » porté par les collectivités, ils symbolisent une nouvelle manière d’envisager le maillage du territoire.  Mais encore fallait-il leur donner vie et amener les populations à s’approprier de tels espaces de circulation.

« Les gens avaient une vision très négative de leur territoire, explique Chantal Lamarre. Cette représentation était le reflet de l’image qu’on leur renvoyait. Après avoir été les meilleurs ouvriers de France, ils se retrouvaient profondément stigmatisés, chômeurs et alcooliques… ».

Les Rendez-vous Cavaliers s’attaquent donc à ce déterminisme imposé par l’extérieur. Et, pour ce faire, la scène nationale s’appuie sur la création contemporaine et des pratiques artistiques que ces populations estiment, à tort, inaccessibles pour elles. Rien de mieux pour répondre à l’humiliation que de revendiquer sa dignité.

« Le sentiment d’abandon fait le lit du Front national »

poursuit Chantal Lamarre.

Ces randonnées spectaculaires traversent trois communautés d’agglomération (Lens-Liévin ; Béthune-Bruay-la-Buissière ; Hénin-Carvin). La démarche revendique ainsi clairement sa capacité à participer au projet d’aménagement du territoire.

« Par sa dimension fédérative, les Rendez-vous Cavaliers ont aussi amené les services administratifs à travailler dans une plus grande transversalité »

précise Chantal Lamarre.

Ici la transformation du territoire ne concerne pas des projets urbains pharaoniques mais, plus essentiellement, le renouvellement du regard que l’on porte sur son espace de vie. Une telle démarche nécessite du temps et ne peut que s’inscrire dans la durée. Un travail de résidence se met alors en place avec quatre compagnies. Trois créations verront le jour, trois Rendez-Vous Cavaliers qui seront autant de déambulations sensibles permettant d’envisager le bassin minier sous un autre jour, d’explorer la mémoire des villes et de leurs habitants, de travailler sur les non-dits, de souligner les mutations et de les accompagner.

Le Théâtre du Prato, dirigé par le lillois Gilles Defacque, a ainsi produit une création mêlant théâtre, cirque et burlesque : une promenade artistique au fil de la Deûle, à pied et en péniche, afin de connecter le bassin minier à la métropole lilloise tout en soulignant

« l’importance du canal pour la vie de ces communes ».

Parallèlement, le plasticien Claudio Zulian a réalisé, en étroite collaboration avec les habitants, un film en noir et blanc sur la ville de Meurchin. Il a surtout donné la parole à ceux qui habituellement sont muets et invisibles. L’œuvre a suscité une certaine polémique sous prétexte qu’elle ne valorisait pas assez le territoire. Culture Commune a alors organisé un débat et  au final

« le dysensus s’est révélé porteur de développement ».

La compagnie Hendrick Van der Zee (HVDZ) de Guy Alloucherie et le collectif KompleXKarpharnaüM ont rapproché Lens, Liévin, Loos-en-Gohelle et Eleu-dit-Leauwette, des communes qui avaient plutôt tendance à se tourner le dos. Cette traversée des « cœurs de l’agglomération » a certainement participé à unifier un territoire encore trop éclaté.

Quant à la compagnie Le Phun, son circuit « a relié Béthune à Bruay-la-Buissière en passant par Gonay ». L’occasion, encore une fois, de questionner les fractures autant politiques, sociales que spatiales. Ainsi Gonay abrite deux chartreuses (monastères du Moyen-Age). Si la première accueille désormais un hôtel de luxe et un restaurant gastronomique, l’autre,  après avoir été transformée en logement ouvrier s’est ensuite dégradée pour devenir un lieu d’habitat indigne. Certes, cette chartreuse est désormais inscrite à l’Inventaire des Monuments Historiques, mais, dans l’imaginaire collectif, elle est toujours associée « à la racaille des mines ». Le Phun avec un acte artistique puissant

« a réussi à dépasser les préjugés et a réuni l’ensemble de la population du village dans le même spectacle ».



Dans le quotidien des gens

Les événements présentés dans le cadre de la capitale européenne de la culture n’étaient que la partie émergée de l’iceberg. En amont de ces « Rendez-Vous Cavaliers » se sont mises en place des « Rendez-Vous Solidaires » avec les populations.

« Pour embarquer les gens avec nous, explique encore Chantal Lamarre, nous avons démultiplié les ateliers de pratiques artistiques, les temps de rencontres et d’échanges, mais aussi effectué tout un travail de transmission de la mémoire sur les quartiers et sur l’histoire des habitants ».

Les matériaux collectés ont non seulement nourri les spectacles, ils ont aussi donné naissance à des compositions mêlant interviews filmés, images de lieux, témoignages, théâtre, cirque, musique et danse…

L’art s’enracine ainsi dans le quotidien. Il est ensuite plus difficile de le déloger. Alors que les capitales européennes de la culture peinent à inscrire leur démarche dans la pérennité, les Rendez-Vous Cavaliers ont permis de structurer des actions culturelles. Sur la communauté d’agglomération d’Artois Comm, des associations ont poursuivi l’aventure. Désormais, chaque année, elles organisent une « Fête de la chartreuse ». L’atelier théâtre qui avait été créé pour accompagner le Cavalier de la Deûle a lui aussi continué sa route. Idem à Lens, Liévin et Loos-en-Gohelle ou Guy Alloucherie a approfondi son laboratoire de rencontre avec la population.

A l’époque, le dossier a bien évidemment été accepté par Lille 2004.

« En fait, chaque scène nationale bénéficiait dans le cadre de la capitale européenne de la culture d’un budget supplémentaire de 150 000 Euros maximum »

nous explique Chantal Lamarre. Mais cette initiative était beaucoup plus coûteuse. Et les collectivités locales, puisqu’elles finançaient déjà Lille 2004, se refusaient à abonder au financement des manifestations présentées dans ce cadre-là. Culture Commune a alors sollicité le Fonds Social Européen.

« Mais pour obtenir une subvention de 350 000 Euros, détaille Chantal Lamarre, il fallait disposer du même montant. Or nous ne l’avions pas. Martine Aubry et le Conseil Général ont porté le dossier afin que nous puissions nous aligner sur cette somme ».

Une dérogation qui prouve que la maire de Lille a compris l’importance du projet de Culture Commune. Cependant, Les Rendez-vous Cavaliers ont creusé un déficit qui a failli être fatal à la scène nationale.

« Nous avons reçu les crédits du FSE trois ans après la fin de l’opération ! Résultat : sur 350 000 Euros de subvention, 80 000 Euros ont été versés en frais financiers. De plus, nous avions dix sept emplois aidés qui sont arrivés à terme en même temps ».

Mais, une fois encore, les collectivités locales se sont mobilisées pour sauver la structure.  « Seul le Directeur Régional des Affaires Culturelles (représentant l’Etat en Région) a voulu nous mettre des bâtons dans les roues. Aujourd’hui encore, nous sommes sous-financés par l’Etat ».

Un intervenant souligne alors que les Rendez-vous Cavaliers se sont construits dans le dialogue avec les collectivités locales. La faiblesse du pouvoir politique de l’aire métropolitaine marseillaise n’est-elle pas un handicap pour réussir de telles aventures artistiques ? La Ville de Marseille serait-elle capable de s’engager avec un tel volontarisme ? Peut-on croire que les intercommunalités du département des Bouches-du-Rhône puissent faire preuve de la même maturité que celles du Nord-Pas-de-Calais qui se sont réellement fédérées sur un projet qui transcendait largement leur frontière territoriale respective ?

L’année capitale et l’après

Lille 2004 aura donc été une opportunité à saisir, mais en aucun cas un moteur du projet de la scène nationale. Et ce, même si, de toute évidence, les Rendez-vous Cavaliers servaient un volet de la stratégie de la capitale européenne de la culture.

« La démarche a été mise en exergue comme l’une des plus participatives de Lille 2004 »

précise Chantal Lamarre.

Marseille Provence 2013 revendique aussi une dimension participative. Mais reste à savoir quelle signification exacte donner à ce terme ? La relation sera-t-elle vraiment horizontale ? Pourra-t-on véritablement parler de co-construction avec les opérateurs et avec les populations ? Patrick Lacoste n’est pas le seul à craindre une trop grande focalisation sur la dimension événementielle au détriment d’un travail de fond, essentiel à la structuration artistique et culturelle du territoire. Quel est le sens commun de ce projet ? L’équipe de Marseille Provence 2013 n’est-elle pas avant tout missionnée par le Conseil d’Administration pour faire de ce territoire une vitrine touristique ? Et Jean-François Neplaz de s’interroger sur

« le coût des choses. Dans les 2e et 3e arrondissements, en quelques mois, vont surgir de terre le Mucem, le Silo, Le Frac… La population voit débarquer tous ces équipements sans jamais avoir été concertée. Ça va être très cher à cause de cette absence de dialogue. Personne n’a envie de payer ces infrastructures qui se construisent contre la volonté des gens. On est dans la droite ligne de la tradition marseillaise qui consiste à bâtir des ruines ».

Indéniablement, Lille 2004 a impulsé une dynamique. Dans la continuité de l’événement, le comité d’organisation a initié Lille Horizon 3000. Quant au Conseil Régional, il promeut, tous les trois ans, une capitale régionale de la culture.

« Mais, s’inquiète Chantal Lamarre, la prise de conscience de l’importance de la culture pour le développement du territoire, incite les collectivités à devenir des programmateurs et à se substituer aux opérateurs ».

Cette tendance s’observe aussi au niveau national. Et  Jean-François Neplaz d’estimer que  ce phénomène correspond en fait à une privatisation de la culture. Les équipements et les manifestations sont ensuite, par le biais de délégations de service public, confiés en gestion à des entreprises. Les appels d’offre fonctionnant sur le principe de la mise en concurrence et du moins-disant, les critères de rentabilité priment sur le bien commun. Ce mouvement libéral participe de la désagrégation de la société civile. Une démarche très insidieuse. Claude Renard évoque l’association Marseille Rêve qui, sous couvert de démarche culturelle participative, développe des initiatives commerciales et démagogiques. Et ce, avec le soutien de la Ville de Marseille qui, sur son site internet, diffuse des clips promotionnels pour cette opération de marketing. A en croire Claude Renard, la municipalité exigerait des Centres sociaux qu’ils travaillent avec cette machinerie commerciale. La Mairie des 2e et 3e arrondissements semble également considérer que le projet de Marseille rêve, bien que du niveau de TF1, relève de ce que l’on peut attendre d’une capitale européenne de la culture. 


Infos pratiques


Au Grandes Tables de la Friche La Belle de mai

Le samedi 24 septembre 2011 à 9h30




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