Une nouvelle posture pour le patrimoine urbain (26/11/2011)

fort saint jean

Eugénie Jodorowsky propose une réflexion sur la relation entre démocratie et participation.

Puis Jean-Michel Galley présente les actions qu’il développe auprès des élus locaux sur la question du patrimoine urbain. Cet accompagnement est complémentaire d’une approche beaucoup plus sensible. Car Jean-Michel Galley est également le créateur d’Oscura, une association de création artistique et culturelle des arts photographiques qui travaille avec les populations.




Jean-Michel Galley est chargé de mission de L’Association Nationale des Villes et Pays d’art et d’histoire et des Villes à secteurs sauvegardés et protégés (L’ANVPAH & VSSP). Cette plateforme a été créée en 2000 pour regrouper les villes et ensembles de communes porteurs d’un secteur protégé (secteur sauvegardé ou ZPPAUP) et les villes et pays signataires de la convention Ville et pays d’art et d’histoire (lire encadré ci-dessous). L’ANVPAH & VSSP réunit plus de 170 villes ou territoires porteurs d’un de ces labels. La plateforme a été créée par quatre élus* qui étaient impliqués dans des territoires de vie relativement restreints, où, de l’avis même de Jean-Michel Galley, la proximité entre les décideurs politiques et la population est plus importante que dans les grandes métropoles.

Sur le même principe, L’ANVPAH & VSSP n’instaure pas de hiérarchie entre les différentes collectivités. « Quelle que soit leur taille, quel que soit leur projet, quelle que soit leur couleur politique, elles se retrouvent sur un pied d’égalité ». Le fonctionnement de ce réseau transcende donc les fonctionnements claniques et les postures partisanes.

« Une ville a beau être dirigée par des maires de camps différents, les problématiques restent les mêmes et dépassent les clivages politiques » explique encore Jean-Michel Galley. La ville fonctionne sur un temps long. Elle ne fonctionne pas du tout selon la même temporalité que la vie politique. « Les grandes orientations urbaines doivent être prises à l’horizon de cinquante ans, alors que les élections municipales se déroulent tous les cinq ans ».

Reconnaissons d’ailleurs que cette vision politique manque souvent aux décideurs qui sont trop souvent obnubilés par leur réélection.

L’ANVPAH & VSSP n’envisage pas non plus le patrimoine à l’aune de sa seule dimension monumentale. C’est un levier pour penser la complexité des villes et agir sur le projet urbain. La problématique des cœurs des villes, par exemple, interroge simultanément la centralité et l’attractivité urbaine. « Le phénomène de polynucléarisation [fruit de l’étalement urbain qui crée d’autres nœuds de centralité, notamment dans les périphéries], n’est pas antinomique avec des besoins de centralité très forte ». Car il faut répondre aux besoins de services et d’équipements des populations et organiser la mobilité, l’accessibilité et la mixité à l’intérieur des territoires. Et, comme l’explique encore Jean-Michel Galley, si les lois s’appliquent à tous les territoires de la même manière, chaque espace est confronté, à chaque fois, à des problématiques spécifiques.

« D’où l’importance des élus éclairés qui vont penser la ville dans sa singularité ».

La fabrication de la ville doit bousculer les poncifs et les idées reçues sur le patrimoine urbain. « Les politiques de planification viennent parfois contredire les représentations véhiculées par les cartes postales ». Il convient de développer une approche élargie du territoire à traiter.

« Il est contreproductif de restaurer un centre-ville en l’abordant comme une icône et en tuant toute activité dans les quartiers autour. Ne faut-il pas d’abord traiter les quartiers environnants et ensuite s’occuper de l’icône ? La manière dont on aborde ces questions éclaire la vision que l’on porte sur la gestion et la gouvernance des villes ».

Difficile de ne pas faire le rapprochement avec la manière dont la Ville de Marseille avait envisagé la réhabilitation du Panier. Ce quartier, dans le fantasme des élus, avait vocation à devenir un « petit Montmartre ». Quant à la rue de la République, elle a été placée en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Sa réhabilitation a été menée selon des visions qui ne correspondaient pas aux attentes et aux besoins d’une partie des populations qui pourtant vivaient sur place. « Une ZPPAUP engendre des opérations qui sont plus ou moins légitimes aux yeux des populations ».

Dans ce domaine, la décentralisation de la décision apparaît donc essentielle, car c’est à l’échelon local que l’analyse de la situation sera suffisamment précise. Pour être pertinente, elle croisera les différents échelons territoriaux. Il conviendrait donc que les villes, les intercommunalités,  les départements, les régions, travaillent dans une plus grande synergie. De même, l’intervention ne peut pas être cantonnée à un seul secteur. Elle concerne autant l’habitat, la voirie, les problématiques de transport, de déplacement… Mais les administrations n’ont que très peu de pratiques transversales. L’ANVPAH & VSSP permet à ses adhérents d’échanger des expériences et des interrogations sur cette gestion urbaine. Car les outils existent qu’ils soient réglementaires (Scot, PPDU…) ou législatifs (loi sur les transports, la sécurité, la solidarité et le renouvellement urbain…). Encore faut-il s’en servir à bon escient. Et pour ce faire, il apparaît urgent de

« changer les mentalités ».

Didier de Hauteville insiste alors sur un changement de paradigme essentiel : le désengagement de l’Etat. Ce retrait a des raisons idéologiques :

« On assiste, depuis plus de trente ans, à un changement de modèle. Il n’est même plus question de régulation économique. L’Etat se rend volontairement impuissant ».

Pas  question pour autant de revenir à l’époque où l’Etat, tout puissant, décidait unilatéralement en ignorant, et parfois même en le méprisant, le point de vue des collectivités territoriales. Comme le rappelle Jean-Michel Galley, la décentralisation et la déconcentration ont bien évidemment transformé

« la manière de faire la ville ».

En fait, la situation paraît assez paradoxale. Des initiatives émergent pour démocratiser l’espace public, mais, dans le même temps, la société apparaît de plus en plus contrainte et soumise à des réglementations liberticides. Quant à la concertation, elle est souvent détournée à des fins purement démagogiques. En fait, les dispositifs de concertation institutionnels ne sont pas une fin en soi. La société civile doit s’approprier ces espaces de débat. Mais, il ne suffit pas de prendre la parole, encore faut-il maîtriser suffisamment le sujet pour s’exprimer en toute connaissance de cause.

« Il faut accompagner les gens pour qu’ils puissent se saisir de cette culture urbaine »,

insiste encore Jean-Michel Galley.

Pour sa part, Jean-Philippe Beau porte un regard très critique sur les dispositifs de sauvegarde des centres-villes. Actuel militant d’Un Centre-ville pour tous,  Jean-Philippe Beau a d’abord travaillé sur les questions urbaines au sein de l’Etat. Il a ensuite été Directeur Général de l’Urbanisme et de l’Habitat de la Ville de Marseille. Et il est catégorique :

« La planification n’est pas la même pour tous. Elle est complétement dépendante des choix et des stratégies politiques ».

Jean-Philippe Beau a d’ailleurs combattu l’idée d’un secteur sauvegardé à Marseille.

« Cet outil est très contraignant. Et, à Marseille, il a été appliqué de façon complément rigide. La ville est une donnée. On ne peut déplacer le système que sur des stratégies à long terme ».

Et de rappeler la différence entre l’urbaniste qui travaille sur les processus à l’échelle de la ville et l’architecte qui, lui, se focalise sur le bâtiment et son intégration dans l’environnement immédiat.

Jean-Michel Galley est également impliqué dans l’Atelier de l’Urbanisme de Perpignan (AUP) qu’il présente comme un Nouveau Territoire de l’Art, en référence aux lieux culturels qui développent des actions artistiques de manière démocratique et en lien étroit avec les populations. Cette association a vu le jour en 1993. Elle consistait à créer un lieu dans lequel les associations de quartier, les architectes-urbanistes et les élus de la ville de Perpignan pouvaient se retrouver pour échanger sur leur ville et sur son amélioration. L’Atelier d’Urbanisme s‘est donc donné pour vocation de mieux cibler les interventions sur le cadre de vie et l’urbanisme, mais également de mieux les faire comprendre. Cet « outil » de concertation a été créé par Jean-Pierre Alduy (sénateur maire de Perpignan).

« Il avait vocation à accompagner les habitants pour qu’ils puissent se saisir des enjeux de leur quartier. Cette démarche visait à penser la fabrication de la ville au quotidien et non dans une approche événementielle ».

L’AUP permettait également de profiter de l’expertise des populations sur des problématiques très concrètes et pragmatiques, mais pourtant essentielles.

« Mais, cette association fonctionne sur le principe du bénévolat. Et au bout de dix ans, les architectes se sont un peu essoufflés ».

Les missions de L’AUP ont également parfois porté à confusion. « Jusqu’où aller dans l’accompagnement des projets ? », s’interroge Jean-Michel Galley.

« Sous couvert de participation, on flirte parfois avec la maîtrise d’œuvre ».

La relation au pouvoir politique d’une telle association peut également être problématique.

« L’AUP veut exister au-delà des clivages politiques qui sont de plus en plus stressants. Cette association est politique au sens où elle s’inscrit dans l’intérêt de la Cité, mais elle refuse d’entrer dans des approches politiciennes ».

Patrick Lacoste estime qu’il serait indispensable qu’un atelier urbanisme populaire se développe à Marseille. Mais, pour ce faire, il faut un projet municipal de gouvernance démocratique. Et de rappeler qu’à Marseille,

« la ZPPAUP a été utilisée comme un outil pour chasser les populations les plus pauvres du centre-ville ».

Ensuite, un tel atelier d’urbanisme populaire ne peut pas exister si on ne fait pas « confiance au peuple ». Et Patrick Lacoste de poursuivre :

« Ces deux conditions n’existent absolument pas ici ».

Et de prendre l’exemple du projet urbain de l’actuelle municipalité.

« Les quatre grandes tours qui apparaissent sur les documents présentant la transformation à venir du front de mer n’ont fait l’objet d’aucune concertation. Elles sont vraiment la traduction de cette Ville saisie par la finance ».

L’architecte Tilman Reichert insiste également sur la responsabilité des communes quant à la forme que prend l’habitat sur leur territoire. Les promoteurs prétendent répondre à l’attente du public mais, en fait, ils imposent une certaine conception de l’immobilier. Or, les Villes ont des outils législatifs et administratifs pour refuser les permis de construire. Mais faut-il encore accompagner les élus pour qu’ils puissent décider en toute connaissance de cause.

« En France, la culture urbaine est faible, déclare alors Jean-Michel Galley. Pourtant, le corpus de connaissances en la matière est très riche. Mais les élus, et parfois même leurs services, manquent cruellement de curiosité. Or, avant de se lancer dans la fabrication de la ville, il est indispensable de connaître le sujet ».

Pourtant, il suffit d’une forte volonté politique pour ouvrir des espaces démocratiques. Sous l’impulsion de Gisèle Gros-Coissy, la mairie des 2 e /3e arrondissements de Marseille s’est saisie de la question du patrimoine intégré.

« La mairie a signé la convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (Convention de Faro de 2005). Un espace de concertation a ainsi été ouvert à la mairie de secteur pour échanger sur le devenir des quartiers. Et, dans le cadre des journées du patrimoine, des ballades urbaines ont été organisées pour permettre aux habitants et aux associations de s’approprier leur territoire et de questionner la manière dont il mute ».

Enfin, Jean-Michel Galley est également à l’initiative d’Oscura. Cette association, créée il y a vingt ans, fonde son action sur la pratique d’ateliers photographiques sténopés en milieu urbain, et ouverts à tous. Grâce au sténopé, une boîte de conserve percée d’un trou (selon le principe de la chambre obscure, une feuille de papier photo de faible sensibilité est glissée à l’intérieur.), Oscura peut

« réaliser de la photographie avec tout le monde, tout autour du monde ».

Jean-Michel Galley développe ainsi, en écho à sa pratique de technicien, un rapport beaucoup plus sensible aux questions urbaines. Le projet d’ensemble d’Oscura est à la croisée de la création artistique, du pédagogique, du lien social et culturel. Les populations peuvent très facilement se saisir de cet outil. Il requiert un faible niveau de compétence technique. Ainsi, l’écart entre le professionnel et l’amateur se réduit. Bien évidemment, il ne s’agit pas uniquement de valoriser l’expression des populations, mais de susciter un déplacement par la pratique artistique. Le sténopé offre l’opportunité de se mouvoir dans la ville pour porter un regard différent sur son fonctionnement et ses habitants.

C’est bien d’une forme d’engagement dont il est question ici.

« La photo correspond à une expérience physique et elle fait appel à pratiquement tous nos sens ».

Bien sûr, la démarche d’Oscura peut susciter des malentendus. Il faut rester vigilant sur les risques d’instrumentalisation. Ainsi, quand l’association intervient sur un site, avec des financements publics ou émanant de fondations, elle travaille au plus près des habitants. Le territoire investi est alors totalement partagé et l’approche risque d’être critique vis-à-vis des postures institutionnelles. Cette volonté de véritablement faire participer les gens peut même être vécue par le pouvoir politique comme une forme d’agitation.

« Ces questions sont sensibles… Comme le papier photographique ».

En tout cas, les cadres institutionnels sont rarement adaptés à ce type de démarche. Il convient alors de les tordre. Ainsi en 2006 et 2007, Oscura a investi le chantier du Mucem (Musée des civilisations d’Europe et de la Méditerranée).

« Comme nous n’avions pas l’autorisation de faire venir le public sur le chantier, nous avons décidé de travailler avec les ouvriers ».

Une chambre noire a donc été installée au Fort Saint-Jean. Les photographies issues de cet atelier ont été exposées sous forme de grands calicots accrochés sur l’un des murs de l’édifice. Mais le partenariat n’a pas été étendu à la Capitale Européenne de la culture.

« Notre projet ne collait pas avec les représentations de l’art défendues par Marseille Provence 2013 ».

Le sténopé ne renvoie pas à une vision exceptionnelle de la ville. Au contraire, cette approche correspond à une forme d’appropriation quotidienne.

« Ce langage artistique permet d’affirmer un mode d’existence et d’usage de l’espace public, poursuit Jean-Michel Galley. On se pose dans le quotidien et on en rend compte ».

L’événement renvoie alors au vécu des habitants et non pas à des approches fantasmées ou distrayantes de la Cité. Cette connaissance n’a pas non plus vocation à se substituer aux savoirs développés par les sciences humaines et sociales. Il est indispensable de penser la ville en croisant les regards et les points de vue, en intégrant aussi bien les acquis de la rationalité que les données de l’intuition.
* (Michel Bouvard, Député, vice-Président du Conseil Général de Savoie. Yves Dauge, sénateur, adjoint au maire de Chinon. Martin Malvy, Président du Conseil régional de Midi-pyrénées, maire-adjoint de Figeac, ancien Ministre. Jean Rouger, Maire de Saintes)

Qu’est ce qu’un secteur protégé ?

Les secteurs sauvegardés ont été créés en 1962, sous l’impulsion d’André Malraux. Ce dispositif de préservation du patrimoine immobilier marquait la volonté de ne plus envisager uniquement la question du patrimoine à l’aune des grands monuments emblématiques mais de replacer cette problématique dans son contexte urbain.

En 1964, est initiée une politique contractuelle entre l’Etat et les collectivités : les « villes d’art ». Cette appellation était donnée aux villes dotées d’un riche ensemble urbain, qui menaient des actions touristiques sur ce patrimoine bâti, en s’appuyant sur des guides conférenciers.

En 1985 cette notion est affinée par la création du label « Ville et Pays d’art et d’histoire » qui

« encourage et authentifie la mise en œuvre d’une politique d’animation et de valorisation du patrimoine et de l’architecture : sensibilisation des habitants au respect et à la connaissance de leur cadre de vie, et diffusion du patrimoine sous toutes ses formes ».

Le propos urbain est encore plus affirmé avec la création des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP).  Ce dispositif est créé en 1983 dans la foulée des lois de décentralisation. Mais cette politique patrimoniale ayant un enjeu national est restée de la compétence de l’Etat.

 

Références bibliographiques proposées par Jean-Michel Galley :
• René Schoonbrodt. Essai sur la destruction des villes et des campagnes. Ed Mardaga. 1995.
• Pierre Ansay et  René Schoonbrodt. Penser la Ville. Choix de textes philosophiques sur la ville. A.A.M. Éditions. 1998


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Au Grandes Tables de la Friche La Belle de mai

Le samedi 26 novembre 2011 à 9h30




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