Les disparités socio-spatiales de la métropole marseillaise : photographie des fractures territoriales (16/11/2013)

Fracture

Patrick Lacoste présente une étude sur les disparités socio-spatiales et les fractures territoriales de la métropole marseillaise, menée par la Région PACA et publiée en septembre 2013

Il y a un an et demi, Patrick Lacoste avait présenté à Pensons Le Matin une étude sur les disparités socio-spatiales de la région Paca. Cette analyse, produite par le Conseil régional, soulignait les fractures territoriales et l’absence de solidarité et de péréquation non seulement entre les territoires, mais aussi à l’intérieur même des communes. La Région a fait réaliser une nouvelle étude qui éclaire encore plus précisément les causes et les effets des multiples atteintes au principe d’égalité entre les citoyens. Ce document, téléchargeable sur le site de la Région Paca, a été mis en perspective, puis en débat, par Patrick Lacoste.

Cette étude sur les disparités socio-spatiales, réalisée par le bureau d’étude Le Compas, se penche sur trois territoires : la métropole Aix-Marseille, la métropole Nice Côte d’Azur et les quartiers d’Avignon, Sorgues et Le Pontet. La comparaison porte sur trois périodes (1990 – 1999 – 2009) et elle s’appuie sur un croisement inédit de sources (notamment INSEE, CAF, DGI…). L’échelle choisie est à la fois interterritoriale, intercommunale et infracommunale. Un découpage des communes en IRIS (ensemble d’environ 2000 habitants) permet de collecter les données pratiquement quartier par quartier. En outre, l’analyse porte sur des indicateurs très précis : le niveau de revenus des ménages, leur niveau de formation, et leur taux d’activité.

Patrick Lacoste s’est plus particulièrement concentré sur les analyses concernant l’aire métropolitaine marseillaise. Premier constat : « L’écart entre les communes qui composent cette métropole est croissant. Ainsi, le potentiel fiscal de Marseille reste nettement inférieur à celui d’Aix-en-Provence (le différentiel est de l’ordre de 1 à 3) ». Faut-il en déduire que Marseille est une ville très pauvre ? Oui, mais à condition de préciser qu’elle est en même temps une ville très riche. En effet, l’analyse des revenus des ménages laisse apparaître des situations sociales divergentes. « Plus de 6 000 personnes sont assujettis à l’impôt sur les grandes fortunes, explique ainsi Patrick Lacoste. Sur ce critère précis, Aix-en-Provence est une ville moins riche que Marseille ».

Quartiers riches versus quartiers pauvres ?
A l’échelle métropolitaine, les territoires les plus riches sont concentrés sur la Communauté du Pays d’Aix et la périphérie marseillaise, ceci expliquant la résistance de leurs élus à partager leurs ressources avec la ville centre. A l’inverse, et sans surprise, le nord de Marseille, mais aussi les 1er, 2nd et 3e arrondissements de la cité phocéenne concentrent une importante population à fortes difficultés socio-économiques. Parmi les communes les plus « pauvres », on compte également Berre l’Etang, Marignane, Vitrolles, Port-Saint-Louis-du-Rhône.
Autre enseignement : entre 2000 et 2009, l’homogénéisation spatiale des populations s’est amplifiée. Les riches vivent de plus en plus entre eux et les pauvres sont de plus en plus relégués dans certains territoires : la fracture entre quartiers favorisés et défavorisés s’est encore accentuée. Dans le même temps, la paupérisation du centre-ville de Marseille s’est, elle aussi, accrue. Seule exception : un partie du 2e arrondissement, notamment la Rue de la République, dans le périmètre de l’opération Euroméditerranée. Patrick Lacoste estime que cette « amélioration » est le résultat d’un déplacement forcé de ménages à l’extérieur du centre-ville, suite à l’acquisition d’une partie de la rue par les fonds de pension Lone Star puis Lehmann Brothers et leur action féroce pour expulser les locataires. Les luttes menées, dès 2001, par l’association «Un Centre ville pour tous » auprès des habitants de la rue de la République, prouvent, en tout cas, que le renouvellement urbain a été très violent pour les plus fragiles . Et cette mobilisation a rendu flagrante la nécessité de répondre aux besoins des populations qui habitaient déjà sur le périmètre d’Euroméditerranée, avant même que ne débute l’opération. Comme le fait remarquer Didier de Hauteville « ce quartier est désormais le seul à Marseille où il y a effectivement 30% de logements sociaux », notamment par le fait que la résistance des habitants de la rue de la République a permis d’obtenir que 360 ménages soient relogés dans des logements sociaux. Pensons le matin a déjà eu l’occasion de relayer des analyses très critiques sur les politiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire marseillais . Un Centre ville pour tous a notamment décrypté les différents documents d’urbanisme (SCOT, PLH, PLU) rédigés par la Ville de Marseille et la Communauté Urbaine (CUM) . Le parti pris de ces documents, qui visent à planifier le développement urbain et à rationaliser les pratiques et les usages de la ville, ne favorise absolument pas la mixité sociale. Et Patrick Lacoste d’insister : « La CUM s’est fixée en 2012 dans son Programme local de l’Habitat un objectif de 1500 logements sociaux par an à Marseille. En 2012, elle en a financé moins de 500 ». Pourtant, des crédits d’Etat pour ces opérations d’aménagements sont disponibles, mais ils ne sont pas consommés.

Diplômes, qualifications et discrimination : les fractures territoriales

L’étude sur les disparités socio-spatiales analyse également le niveau de formation et son évolution entre 2000 et 2009. « Sur ce critère, Marseille est classée juste dans la moyenne nationale ; un résultat plutôt médiocre pour une grande métropole qui doit remplir des fonctions métropolitaines dites supérieures, et avec un niveau de qualification élevé ». En revanche, l’écart avec la moyenne nationale n’a cessé de se creuser dans les quartiers les plus pauvres. Ainsi, dans certaines zones du 3e arrondissement (Félix Pyat, Saint-Mauront, Bellevue) cet écart était de -9,5 en 1990. Il est passé à – 15,3 en 1999, puis à -18,6 en 2009. Et, dans le même temps, dans les territoires riches (Le Corbusier, Lord Duveen, La Cadenelle…), la part des diplômés de l’enseignement supérieur s’accroît plus rapidement qu’au niveau national. « Cet indicateur souligne donc lui aussi l’accentuation de la fracture ». De ce point de vue, le 1er arrondissement se distingue au sens où, malgré le faible niveau de ressources monétaires, le niveau de formation des résidents est plus élevé.

Désormais, un haut niveau de formation ne garantit plus forcément un revenu décent. Certes, dans les quartiers aisés, les populations sont majoritairement très bien formées, alors que dans les quartiers nord de Marseille, la corrélation entre pauvreté et faible niveau de formation est évidente. Mais les situations sont moins tranchées en centre-ville, où une part non négligeable de la population cumule pauvreté et niveau de diplôme élevé.

Les femmes subissent encore plus fortement la fracture socio-spatiale. Globalement, à l’échelle de la métropole, 81% des femmes sont actives, contre 91% des hommes. Les taux d’activités féminins les plus élevés se retrouvent sur les territoires les plus riches. Ainsi, sur Marseille, seules 78% des femmes sont actives. De même, si la surqualification concerne 19% des hommes et 27% des femmes, ce chiffre atteint 32% des personnes qui ont en lien avec l’immigration.
L’étude confirme par ailleurs que le fait d’avoir un parent ou un conjoint d’origine immigrée est un facteur discriminant indéniable. Ainsi, L’indice de chômage des populations en lien avec l’immigration est fortement supérieur à celui de l’ensemble des populations actives. Et quand elles sont diplômées, l’indice de sous-qualification de ces populations « en lien avec l’immigration » est fortement supérieur à celui de l’ensemble des populations actives.

Revenus et dépendance au travail

Les données concernant les revenus des ménages viennent bien évidement corroborer toutes ces analyses. La moitié de la population de la Métropole Aix-Marseille vit avec moins de 1 619 € par mois et par personne, soit un niveau de ressources inférieur de 9€ à la moyenne de la France métropolitaine. Marseille est donc à la fois un territoire très pauvre et très riche puisque, dans le même temps, l’écart entre le niveau de revenu des 10% des ménages les plus aisés et des 10% des ménages les plus démunis est supérieur de 130€ à celui observé en France métropolitaine. La fracture géographique est flagrante. Un exemple ? Dans le quartier Lilas-Oliviers du 13ème arrondissement de Marseille, 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Alors que « seulement » 5% de la population est sous ce seuil dans le quartier Estrangin du 7ème arrondissement.

Les sources de revenus diffèrent également selon les catégories socioprofessionnelles. Dans les quartiers les plus défavorisés, la dépendance aux revenus du travail est très forte : les gens vivent majoritairement de leur travail. Par contre, les populations aisées, parce qu’elles bénéficient d’un capital économique important et diversifié, sont beaucoup moins dépendantes des revenus salariaux. Ainsi, 62% des revenus des habitants du quartier Kalliste du 15ème arrondissement de Marseille (le quartier le plus pauvre) viennent du travail (salaires / traitements) contre 38% pour le quartier Cadenelle du 8ème arrondissement de Marseille (le quartier le plus riche).

Plusieurs villes dans la ville

Nous sommes bien face à une ville à plusieurs vitesses. Des zones étanches coexistent à l’intérieur d’une même entité administrative. Mais elles ne cohabitent pas, et les passerelles entre elles sont de plus en plus ténues. Patrick Lacoste identifie ainsi « trois villes dans Marseille » : un centre très fortement touché par la paupérisation, mais qui préserve une relative mixité sociale ; au sud, la ville de la « Côte d’azur » qui s’homogénéise fortement et où les revenus de « la rente » sont très importants ; la ville qui plonge et qui s’homogénéise par le bas. La ville compte également des quartiers résidentiels favorisés, à l’intérieur desquels habitent des retraités relativement aisés et des actifs cadres et cadres supérieurs.

Toute analyse territoriale, aussi précise qu’elle soit, fige des situations. Magali Lingois-Diot,  directrice de la Politique de la ville à Vitrolles, estime, pour sa part, que le découpage du territoire en IRIS de 2000 habitants crée des aplats trop larges qui peuvent gommer de très grandes diversités au sein des communes, voire au sein des quartiers. « Ainsi le revenu médian des populations permet de déterminer les quartiers qui seront prioritaires pour la politique de la ville. Avec un tel calcul, Vitrolles apparaît comme une ville plutôt favorisée. Mais les chiffres ne tiennent pas compte d’importantes disparités sociales. Des territoires très fragiles risquent ainsi de ne pas être éligibles à la politique de la ville ». Les politiques de « géographie prioritaire » fabriquent forcément de l’injustice. Claude Renard, qui a longtemps travaillé sur ces questions, rappelle que la Belle-de-Mai, l’un des quartiers les plus pauvres de France, bénéficie très peu de la politique de la ville. « A l’inverse, un lobbying politique intense a permis à des communes qui en avaient les moyens de bénéficier de ces financements ».

Retour au politique

Pour développer une vision la plus précise possible de la réalité économique et sociale, il est indispensable de croiser les données. « C’est ce vers quoi tend cette étude sur les disparités socio-spatiales, insiste Patrick Lacoste. En combinant les indicateurs, elle offre une analyse très précise de la situation de la métropole marseillaise ». « Ce travail éclaire une réalité que les élus ne veulent pas voir, renchérit Christian de Leusse. Le temps de réaction du pouvoir politique est toujours aussi lent, alors même que les phénomènes de ségrégation socioéconomique ne cessent de s’amplifier. De plus, ces fractures expliquent les blocages sur la métropole. Les communes riches, qui sont situées autour de Marseille, font tout pour freiner le processus de métropolisation ».
Comment impulser un changement d’orientation des politiques publiques ? Les élections municipales représentent une occasion de placer cette question de l’inégalité économique et sociale au cœur du débat. Dans une lettre ouverte, un collectif de citoyens interpelle les candidats à la mairie de Marseille . Ce document énumère les raisons pour lesquelles le prochain maire doit impérativement donner la priorité à la réduction de la fracture sociale et territoriale à Marseille.

Et, comme le précise le sociologue Christophe Apprill, ce débat, bien évidemment, ne concerne pas que Marseille. « L’historien et sociologue Pierre Rosanvallon a étudié ce phénomène de creusement des inégalités en Europe et aux Etats-Unis . Il en tire des analyses politiques sur la faillite des idées de gauche: l’idée d’égalité ne peut plus être sérieusement portée par les partis de progrès dans un contexte où les fractures entre les plus riches et les plus pauvres ne cessent de s’accentuer, tandis que tous les mécanismes et les causes en sont bien connus . Quant à l’économiste Thomas Piketty, il décrypte, dans son ouvrage « le Capital au XXIe siècle », l’évolution de la dynamique du capitalisme. Il démontre comment, après l’avènement du salariat au XXe siècle, la « société de rentiers » s’est imposée au XXIe siècle. Ces travaux font écho à un phénomène de plus en plus prégnant : la fronde contre les impôts. Ainsi, une majorité de gens de gauche s’oppose à une plus forte taxation sur les héritages. Cet impôt est pourtant à la base de la redistribution des richesses ». Selon Rosanvallon, nous sommes bien là face au paradoxe de Bossuet (se plaindre des conséquences mais en chérir les causes) : « Les hommes déplorent en général ce à quoi ils consentent en particulier. Ce paradoxe est au principe de la schizophrénie contemporaine. »

Etudes sur les disparités socio-spatiales en région Paca : http://www.regionpaca.fr/amenagement-du-territoire/letude-sur-les-disparites-socio-spatiales-en-region-paca.html

Lire également : Inégalités : les quartiers qui décrochent, ceux qui progressent. La Provence, page 3, samedi 21 décembre 2013.


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