Marseille, une ville très pauvre mais aussi très riche – étude sur les disparités socio-spatiales (24/3/2012)

mars

Une étude réalisée par la Région Paca sur les disparités socio-spatiales du territoire a été présentée et commentée par Patrick Lacoste. A partir d’une vue d’ensemble sur la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, puis d’un focus sur Marseille et ses quartiers, force est de constater que les inégalités s’additionnent et ne cessent de croître.


Intervenants


André Donzel, sociologue
Patrick Lacoste, économiste



Compte rendu de séance


L’étude réalisée par la Région Paca croise les approches territoriales et des critères socio-économiques. Il est en effet intéressant de mettre en regard les données concernant le potentiel fiscal des communes avec celles des ressources des ménages. Cela permet notamment de constater l’absence de solidarité et de péréquation entre les territoires, comme à l’intérieur même de ces territoires. Paradoxalement, la région a connu un enrichissement global.

les inégalités se sont creusées …

« L’emploi, par exemple, a augmenté de 2% par an sur l’ensemble du territoire, précise Patrick Lacoste, et la médiane des revenus* a progressé à-peu-près comme en France. Mais, dans le même temps, les inégalités se sont creusées ».
Les communes avec un fort potentiel fiscal comptent une population riche. A l’inverse, les communes qui auraient le plus besoin de redistribuer des moyens à leur population, ont une faible base fiscale. Et on retrouve des disparités similaires à l’intérieur même des villes.

Le cas marseillais est particulièrement emblématique de ces fossés. Comme le précise André Donzel** :
« Marseille est d’abord la capitale d’une région exceptionnellement riche, puisqu’elle figure au premier rang des régions françaises de province pour la collecte de l’impôt sur les grandes fortunes ». Avant d’ajouter : « Mais une autre donnée caractérise la région : le poids tout aussi exceptionnel des ménages à très bas revenus au sein de sa population ».

Aix la riche côtoie Marseille la pauvre
Les disparités socio-spatiales interviennent à toutes les échelles. A l’intérieur même du département des Bouches du Rhône, Aix-en-Provence, la riche, côtoie Marseille, la pauvre.  De même, le pourtour de l’Etang de Berre développe une activité industrielle qui fait cruellement défaut à la capitale régionale. Et aucune solidarité en vue, puisque les communes riches se regroupent entre elles et refusent d’adhérer à MPM qui, par contre, doit assumer toutes les charges de centralité.

Résultat : Marseille Provence Métropole compte parmi les plus pauvres des Communautés urbaines de France (loin derrière Lyon et Bordeaux). Mais, à l’intérieur même de la communauté urbaine de Marseille, existent également de très fortes disparités, à la fois entre les territoires et entre les ménages.  Ainsi, l’écart entre la commune aux revenus médians les plus élevés (Carry-le-Rouet) et celle aux revenus les plus faibles (Marseille) atteint 58%.

Marseille est bien le maillon le plus pauvre du territoire. Pour preuve, cette ville accuse un revenu médian de 1 344 €, alors qu’au niveau national il est de 1 530 €.  Mais tous les habitants de la cité phocéenne ne sont pas logés à la même enseigne, loin de là. En focalisant sur les arrondissements, on constate des écarts de situation très importants. Sans surprise, c’est le 3e arrondissement qui accuse un revenu médian le plus faible (600 €) alors que le revenu médian du 8e arrondissement s’élève à 2 000 €. Dans les 1er, 2nd, 3e 14e et 15e arrondissements, plus de 65% de la population, avant redistribution, vit sous le seuil de pauvreté. A l’inverse, dans les 7e, 8e et 12e arrondissements, seulement 10% de la population est dans ce cas.

Les écarts entre populations aisées et populations pauvres se creusent, de la même manière que s’intensifie la fracture entre territoires favorisés et territoires défavorisés.

Au niveau national, le revenu par unité de consommation du premier décile*** (c’est à dire celui concernant la population la plus pauvre) est passé de 435 € à 556 €.  Soit une progression de 121 €. Pour les Marseillais, cette évolution a été de 38 € seulement. Au regard de l’évolution des coûts de la vie et de l’évolution des prestations, le pouvoir d’achat de la population marseillaise la plus pauvre n’aura pas progressé (voire se sera réduit) au cours de cette période. Par contre, pour le neuvième décile (la population la plus aisée), la progression du revenu des Marseillais est équivalente (voire largement supérieure pour les 7e, 8e et 12e arrondissements) au niveau national.  Dit trivialement : les pauvres se sont appauvris pendant que les riches s’enrichissaient. Cette situation sociale et économique renvoie à une cartographie du territoire.  Ainsi, en 2000, l’écart entre le revenu médian du 3e arrondissement et celui du 8e arrondissement était de 1000 €. En 2009, il est passé à environ 1400 €.

l’enrichissement provient de plus en plus de revenus non liés à l’activité professionnelle
Il est également intéressant de noter que les salaires représentent moins de 60% (seulement 52% dans le 8e arrondissement) des ressources des ménages les plus favorisés. L’enrichissement, dans leur cas, provient de plus en plus de revenus non liés à l’activité professionnelle. A l’inverse, les arrondissements, où la part des salaires dans les revenus a augmenté, sont les plus défavorisés de la ville (notamment les 1er, 3e, 11e et 13e arrondissements). Les riches s’enrichissent donc en travaillant moins pendant que les pauvres s’appauvrissent en travaillant plus.

logement, formation, violences, gouvernance
Inutile de préciser que le parc de logement n’est pas adapté. Les familles nombreuses, qui ont les revenus les plus modestes des ménages de MPM, éprouvent d’énormes difficultés d’accès au logement. « On ne construit à Marseille que 2 000 logements sociaux par an, alors que le déficit est estimé à 30 000 et même à 50 000 logements sociaux, ajoute Patrick Lacoste ». Le parc locatif privé joue, partiellement et par défaut, un rôle de parc social de fait. Certains « marchands de sommeil » profitent de la situation. Certaines familles sont logées dans des conditions qui ne sont pas dignes d’une société qui se prétend civilisée.

On peut également plaquer sur  cette carte des disparités socio-spatiales, une autre cartographie : celle du niveau des formations des Marseillais. Si, globalement, le niveau de formation est plus élevé à Marseille qu’au niveau national, de fortes disparités subsistent entre arrondissements. Les 6e, 7e et 8e arrondissements connaissent des taux de population diplômée très fortement supérieurs à la moyenne marseillaise et nationale. A l’opposé, le 3e, 15e et 14e arrondissements connaissent des taux très faibles. Plus inquiétant encore : ces écarts se creusent. La part des diplômés de l’enseignement supérieur augmente dans les quartiers aisés, alors que cette progression est négative dans plusieurs autres arrondissements (les 13e, 14e et 15e arrondissements sont les plus touchés).

Certaines populations cumulent donc les handicaps économiques, sociaux, éducatifs, urbains…  A l’opposé, la Cadenelle compte parmi les vingt-deux quartiers les plus riches de France. « La ghettoïsation fonctionne à la fois par le haut et par le bas, rappelle Patrick Lacoste. Tous les ingrédients de la ségrégation sont réunis comme prélude à la guerre civile ». En effet, on peut se demander comment et pourquoi cette ville n’a pas encore explosé ?

En tout cas, cette violence économique et sociale génère d’autres violences. Comme le fait remarquer Alain Moreau, les agressions et les actes d’incivilité sont en très forte augmentation (En 2011, année particulièrement noire : 33 actes de violence mortelle, 11 victimes de règlement de compte et 31 blessés, 600 braquages, 650 vols sous menace d’un couteau, 11 000 agressions crapuleuses, soit 30 par jour…). La sécurité diminue et le sentiment d’insécurité progresse d’autant. Le lien social se délite. L’extrême-droite prospère.

Les modes de régulation et de gouvernance sont tout autant déficients. Est-il étonnant que cette ville fonctionne autant sur le paternalisme et le clientélisme ? Sans parler des pratiques mafieuses…

Jean-François Neplaz propose un parallèle entre ce contexte économique et social et la situation dans le secteur culturel. « On assiste au même phénomène de concentration dans le milieu du cinéma avec les mêmes mécanismes de détournement des modes de régulation ».  Et Jean-François Neplaz de poursuivre plus loin son raisonnement par une comparaison entre « l’économie réelle des acteurs culturels du territoire et celle dont dispose Marseille Provence 2013 ».

Pensons le Matin est en position légitime pour porter le débat  concernant les disparités socio-spatiales sur le terrain politique. « Mais pour que les décideurs politiques se saisissent de ces enjeux, il faut de la pédagogie », estime Gisèle Gros-Coissy, conseillère d’arrondissement(s), déléguée à la culture, contrat de ville et CUCS [mairie du 2e secteur de Marseille]. La « Coordination Patrimoines et Créations » qu’elle a mise en place pour les 2e/3e arrondissements, pourrait-elle être ce lieu de convergence pour ouvrir, à l’échelle d’un territoire particulièrement concerné par ces questions, une démarche articulant l’analyse et l’action ?

* A propos de la médiane : si, par exemple, (pour l’année 2008), on ordonne les revenus de tous les habitants de la région PACA, en partant du revenu le plus faible jusqu’au revenu le plus élevé, on peut déterminer que le montant du revenu médian (valeur médiane) est de 1491 Euros : la moitié (50%) des habitants de PACA vit donc avec moins que ce montant médian (donc avec moins de 1491 Euros), tandis que l’autre moitié (50%) vit avec plus que ce montant médian (donc avec plus de 1491 Euros).

** André Donzel. Marseille : une métropole duale ? Faire Savoirs, n°5, 2005. Consultable sur le site de la revue Faire Savoirs : < www.amares.org/ > (par inscription avec abonnement gratuit et sans engagement).

*** Pour se faire une idée précise des niveaux de vie dans la population, on classe les ménages par niveau de vie croissant, et on découpe en 10 tranches appelées déciles : le premier décile correspond aux 10% de ménages les plus pauvres, et le dernier décile correspond au 10% de ménages les plus riches.

Données urbaines sur Marseille :
http://www.agam.org/fr/ressources-et-donnees/donnees-urbaines/marseille-par-quartier.html

Données concernant le centre ville :
http://www.agam.org/index.php?id=368


Infos pratiques


Au Grandes Tables de la Friche La Belle de mai

Le samedi 24 mars 2012 à 9h30




Il y a 4 commentaires

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  1. Marseille (France) | Pearltrees

    […] Marseille, une ville très pauvre et très riche. Traces de la séance du samedi 24 mars 2012 Une étude réalisée par la Région Paca sur les disparités socio-spatiales du territoire a été présentée et commentée par Patrick Lacoste. A partir d’une vue d’ensemble sur la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, puis d’un focus sur Marseille et ses quartiers, force est de constater que les inégalités s’additionnent et ne cessent de croître. […]

  2. zakia.benkaka@hotmail.fr

    Alors il faut agir avant que les intégristes prennent la part du gâteau. Surtout à nationale. C’est une grosse bombe à retardement. Agir chez les plus jeunes. Les familles. Il y a du travail à faire intéressant. C’est pas l’Inde, ni l’Afghanistan, mais si les politiques ne font rien, alors cela pourrait être les deux.


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